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vations du marché m’ont fortifié dans mon opinion qu’il s’est opéré un remarquable changement dans notre peuple berlinois, depuis cette époque de malheur où un ennemi téméraire et orgueilleux s’emparait du pays et s’efforçait en vain d’écraser cet esprit qui devait bientôt, comme un ressort, se redresser avec une force toute nouvelle. En un mot le peuple a gagné une moralité extérieure, et si tu te donnes une fois la peine, par une belle journée d’été, d’aller visiter les tentes et d’observer les sociétés qui s’embarquent pour aller à Moabit, tu remarqueras parmi les filles du commun et les ouvriers une aspiration à une certaine politesse qui a son côté comique. Il en est de la masse comme des individus, qui ayant beaucoup voyagé, beaucoup regardé, ayant éprouvé beaucoup de sensations extraordinaires, ont gagné l’aménité des formes extérieures tout en subissant le nil admirari[1]. Autrefois le peuple berlinois était rustre et brutal ; un étranger pouvait à peine demander des renseignements sur une rue, une maison, sans essuyer une moquerie grossière pour réponse, à moins qu’on ne le bernât par une fausse indication. Le gamin de Berlin qui se servait du moindre prétexte, d’une toilette un peu voyante, d’un malheur drolatique arrivé à quelqu’un, pour en faire un sujet de risée, n’existe plus. Quant à ces jeunes drôles que l’on voit aujourd’hui offrir sous les portes des cigares de Hambourg avec du feu, ces gibiers de potence qui vont unir leur vie à Spandau ou à Straussberg, ou, comme cela est encore arrivé dernièrement à un de leur race, sur l’échafaud, il ne faut pas les confondre avec le vrai gamin berlinois, lequel n’est pas

  1. Ne rien admirer.