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se sera fendu de quelque gros groschen. Tout cela me donne à croire que l’aveugle fait une certaine recette les jours de marché, et je m’étonne qu’il prenne tout sans donner le moindre signe de reconnaissance ; seulement un mouvement de lèvres, que je crois apercevoir, montre qu’il murmure quelques mots de remerciement sans doute... quoique je ne remarque ce mouvement que de temps à autre.

LE COUSIN. — Tu as là l’expression parfaite de la résignation complétement concentrée. À quoi bon cet argent ? Il ne peut l’utiliser. Ce n’est que dans la main d’un autre, auquel il est obligé de s’en rapporter sans restriction, qu’il reprend sa valeur. — Je peux me tromper beaucoup, mais la femme dont il porte les paniers de légumes me paraît une mauvaise créature qui agit mal avec l’aveugle, quoique très probablement ce soit elle qui s’empare de tout l’argent qu’il reçoit. Chaque fois qu’elle revient du marché, elle se met à grogner contre l’aveugle plus ou moins fort, selon qu’elle a fait bon ou mauvais marché. Déjà la mine livide, la tournure affamée, les habits en lambeaux de l’aveugle, donnent à supposer que sa position est assez triste, et un ami de l’humanité devrait veiller à sa situation.

MOI. — Pendant que je contemple tout le marché, je remarque que ces voitures à farine, là, sur lesquelles sont étendues des toiles comme des tentes, donnent quelque chose de pittoresque à l’ensemble, parce qu’elles servent de fonds sur lequel la foule bigarrée se détache en groupes distincts.

LE COUSIN. — Je vois aussi un certain contraste dans ces blanches voitures de farine, entourées de garçons meu-