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et je fus obligé de m’avouer que ce coup d’œil agréable, mais un peu fatigant à la longue, était dans le cas d’occasionner à des gens quelque peu predisposés à de telles sensations un léger vertige, semblable à cejui qui précède les rêves. C’est en cela que je fis consister le plaisir que cette fenêtre du coin donnait à mon cousin, et je. le lui dis tout net.

Le cousin se frappa la tête des deux mains et le dialogue suivant commença entre nous.

LE COUSIN. — Ah ! cousin ! cousin, je vois bien maintenant que la plus petite étincelle de talent littéraire ne brûle pas en toi. La disposition la plus élémentaire te manque pour marcher jamais sur les traces de ton cousin, si digne et si boiteux, c’est-à-dire l’œil qui voit réellement. Ce marché ne t’offre que l’aspect d’un tourbillon confus et bariolé de gens du peuple, en proie à une animation insignifiante. Ho ! ho ! mon ami ! moi, au contraire, je vois se développer là la mise en scène la plus variée de la vie bourgeoise, et mon esprit, à la manière de Callot et de Chodowiecki[1], enfante mille esquisses l’une après l’autre, qui ne manquent ni de hardiesse ni de trait. Voyons, cousin, il faut que j’essaye si je ne pourrai pas mettre à ta portée les principes de l’art. Tiens, voici ma lunette, regarde devant toi, là, dans la rue ; aperçois-tu cette personne un peu étrangement habillée, un large panier de marché au bras, qui est en grande conversation avec un marchand de balais, et qui semble traiter d’autres affaires

  1. Chodowiecki était un dessinateur et graveur fort spirituel qui a illustré de petites eaux-fortes charmantes tous les romans allemands et suisses du temps d’Hoffmann. Lavateur en faisait grand cas.