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nel hollandais dont je veux te raconter l’histoire, afin que tu ne puisses établir aucune comparaison entre lui et moi. Cette histoire me revient à ce moment à l’idée avec tous ses détails. Le vieux lieutenant-colonel (j’ai fait sa connaissance à Kœnigsberg) était, pour ce qui concernait les insectes, le plus zélé et le plus infatigable naturaliste qui se pût voir. Tout le reste du monde était mort pour lui ; et les seuls rapports qu’il avait avec les hommes révélaient l’avarice la plus insupportable, la plus ridicule. En même temps, il était pris de l’idée fixe qu’un jour il serait empoisonné par du pain blanc. Tous les matins il pétrissait lui-même son pain, l’emportait avec lui dans les maisons mêmes où il était invité à dîner, et on ne put jamais le persuader de manger d’autre pain. Une seule circonstance peut te suffire comme preuve de son avarice : dans les rues il marchait lentement en écartant les bras de son corps le plus qu’il pouvait afin de ménager le corps de son uniforme. Mais revenons à l’affaire ; ce vieux colonel n’avait d’autres parents sur la terre, qu’un frère plus jeune qui vivait à Amsterdam. Depuis trente ans les deux frères ne s’étaient pas vus, quand l’Amsterdamois, poussé par le désir d’embrasser son aîné, entreprit le voyage de Kœnigsberg. Il entre dans la chambre du colonel qui était pour l’instant assis devant sa table, la tête penchée en avant, contemplant à travers une loupe un petit point noir sur une feuille de papier blanc. Le frère pousse un cri de joie et veut se jeter dans les bras du colonel, mais celui-ci, sans détourner les yeux du petit point, lui fait un signe de la main pour l’empêcher d’avancer et lui impose silence avec des st-st-st répétés. « Frère, qu’est-ce que tu fais là ?