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Il a fallu une singulière personnalité à Hoffmann pour couvrir les nombreux emprunts qu’il fit de côté et d’autre. Peu d’hommes ont moins inventé que lui, car il s’appropriait non-seulement des sujets, mais des types avec autant de sans-gêne que Molière. C’est ce qui explique ces lectures perpétuelles, qu’on peut voir indiquées dans ses cahiers de notes.

Quand son esprit ne le meublait pas en contemplant des caricatures favorites telles que celles de Callot et d’Hogarth, il allait au butin dans les œuvres de Lewis, de Gozzi, de Shakespeare, de Schiller, de Voltaire, de Diderot, etc. ; mais l’homme qui lui était le plus utile était ce Français-Allemand, Chamisso, dont l’œuvre est inconnue dans sa patrie, la France, et qui aura du moins la gloire d’avoir été un des plus fidèles amis de Théodore Hoffmann. Chacun sait que le fameux type de Pierre Schlemil, l’Homme qui a perdu son ombre, appartient en propre à Chamisso ; ce poète avait-il trouvé ce type dans ces nombreuses traditions allemandes recueillies plus tard par les frères Grimm, et qui ne sont qu’un échantillon des richesses populaires de la littérature allemande ? On ne sait rien là de positif ; toujours est-il qu’Hoffmann s’empara du Pierre Schlemil de son ami et l’intercala avec un grand bonheur dans la Nuit de la Saint-Sylvestre, pour faire pendant à l’Homme qui a perdu son reflet. Le reflet perdu n’est qu’une conséquence de l’ombre vendue ; sans la création de Chamisso, Hoffmann n’eût pas trouvé la sienne ; mais aussi avec quel art sont mises en présence ces deux figures étranges. Combien est heureuse la mise en scène de ce petit drame ! Et dès les premières lignes, aussitôt que l’entrée de la cave a été dépeinte, comme on se sent pris par ces fumées vagues de fantastique et d’extraordinaire sortant de cette petite cave. On a voulu donner une esthétique du fantastique, et l’on n’a enseigné que le procédé du fantastique. Un être rangé, froid, les oreilles rouges, ayant du ventre, égoïste et spirituel, si le vent du succès tourne aux œuvres d’Hoffmann, s’assied devant son bureau, taille une belle plume neuve, dispose un certain nombre de cahiers blanci devant lui et dit : La mode est au fantastique, je m’en vais faire du fantastique. En cherchant bien dans les revues,