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L’imagination active des femmes inventa bientôt une histoire effroyable. Un signe redoutable, disaient-elles, la marque de la griffe du diable, avait affreusement sillonné le visage de l’étrangère, et de là ce voile épais.

Le bourgmestre eut bien de la peine à réprimer les caquets, et à empêcher qu’au moins devant la porte de sa maison on se permit des conjectures erronées sur le compte de l’étrangère dont on connaissait déjà l’installation chez lui. On avait aussi remarqué les promenades de Célestine au couvent des Carmélites, et bientôt on la nomma la dame noire du bourgmestre ; qualification qui entraînait d’elle-même l’idée d’une apparition surnaturelle.

Le hasard voulut qu’un jour que la fille du bourgmestre apportait à manger à Célestine dans sa chambre, un courant d’air soulevât le voile. L’étrangère se détourna avec la rapidité de l’éclair, pour se soustraire au regard de la jeune fille ; mais celle-ci devint pâle, et se mit à trembler de tous ses membres. Elle n’avait point distingué de traits ; mais, comme sa mère, elle avait vu une face cadavéreuse et d’une blancheur de marbre, et dans deux cavités profondes des yeux qui lançaient des regards étranges !

Le bourgmestre combattit avec raison ces idées de jeune fille, mais il n’était pas éloigné de les partager, et souhaitait voir partir de chez lui celle qui venait y apporter le trouble, malgré la piété dont elle faisait parade.

Une nuit le vieillard éveilla sa femme et lui dit que depuis quelques minuties il entendait des plaintes, des gémissements, et des coups légers, qui semblaient partir de la chambre de Célestine. La dame, saisie du pressentiment de ce que ce pouvait être, s’y rendit en toute hâte. Elle trouva Célestine habillée et enveloppée de son voile, étendue sur son lit presque sans connaissance, et elle se convainquit que sa délivrance était prochaine. Tous les préparatifs nécessaires avaient d’avance été faits depuis longtemps, et au bout de peu de temps naquit un garçon charmant et bien constitué.

Cet événement, bien qu’on s’y attendît, survint presque à l’improviste, et eut pour effet d’anéantir la contrainte qui rendait désagréables les rapports de la famille avec l’étrangère. L’enfant était comme un médiateur ayant mission de réconcilier Célestine avec l’humanité. Son état lui interdisait les pratiques ascétiques, et le besoin qu’elle avait du secours de ses semblables et de leurs soins assidus l’habitua par