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Vois-tu bien, mon enfant ? s’écria le baron, permis à toi de faire de jolis passages, des fioritures, des trilles, et autres frivoles ornements de la nouvelle école ; mais tu ne sais pas tenir une note comme il faut. Je vais te montrer ce qui s’appelle tenir un son sur le violon.

Il m’ôta l’instrument des mains et saisit l’archet. Ici les paroles me manquent pour exprimer ce qui se passa.

Son archet tremblant monta et descendit tout près du chevalet, et produisit une effroyable cacophonie : c’était un ronflement, un sifflement, un miaulement affreux ; enfin un bruit qu’on pourrait comparer à la voix chevrotante d’une vieille femme, qui, les lunettes sur le nez, se tourmente pour fredonner l’air d’une chanson qu’elle veut retenir.

En même temps il regardait le ciel comme plongé dans l’extase de la béatitude, et, quand il eut cessé de promener l’archet sur les cordes et posé près de lui l’instrument, il s’écria les yeux étincelants et d’une voix profondément émue :

— Voilà un son ! voilà un son !

J’étais tout déconcerté ; l’envie de rire qui me suffoquait était comprimée par l’air vénérable et le regard inspiré du vieillard. Il me semblait que j’étais le jouet d’une illusion fantastique ; je sentais ma poitrine oppressée, et il me fut impossible de prononcer une seule parole.

— N’est-ce pas, mon enfant ! reprit le baron, que ce son t’a été à l’âme ? Tu ne te figurais pas qu’avec quatre pauvres petites cordes on arriverait à produire un si merveilleux effet ? Maintenant, bois, bois, mon enfant !

Le baron me versa un verre de vin de Madère, et m’obligea de le boire et de manger quelques gâteaux qui étaient sur la table ; en ce moment une heure sonna.

— En voilà assez pour aujourd’hui, s’écria le baron ; va, va, mon enfant, et reviens bientôt… Tiens, prends, prends !…

Le baron me glissa dans la main un petit papier, où j’aperçus un ducat hollandais brillant et bien frappé.

Tout stupéfait, je courus chez le chef d’orchestre, et lui racontai ce qui s’était passé. Il se mit à rire aux éclats.

— Sais-tu bien maintenant, s’écria-t-il, ce qu’il en est du baron et de ses leçons ? Il te prend pour un commençant, aussi ne t’a-t-il donné qu’un ducat pour te récompenser d’avoir pris sa leçon ; mais