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Toute la timidité que je pouvais avoir en ma qualité de jeune homme sans expérience disparut en un moment.

— Comment vous portez-vous, mon bon Haak ? dit le baron d’une voix claire et sonore. Mon concert marche-t-il bien ? C’est donc demain que nous l’entendrons. Ah ! voilà donc le jeune homme, ce petit musicien de talent dont vous m’avez parlé !

Je baissai les yeux avec embarras et je sentis que ma rougeur augmentait à chaque instant.

Haak déclina mon nom, et vanta mes dispositions naturelles et les progrès rapides que j’avais faits depuis peu.

— Ainsi, me dit le baron, entre tous les instruments tu as choisi le violon, mon enfant ? As-tu bien songé que le violon est le plus difficile de tous les instruments imaginables ? Oui, le violon, malgré sa simplicité et sa mesquinerie apparentes, possède une richesse de sons inépuisable, et des secrets étranges dont la nature n’accorde la compréhension qu’à un petit nombre d’hommes privilégiés. Es-tu bien convaincu que tu deviendras maître de ces secrets ? Il y a beaucoup de musiciens qui ont cru arriver à ce but, et sont restés toute leur vie de pauvres bousilleurs. Je ne voudrais pas, mon enfant, te voir augmenter le nombre de ces misérables. Eh bien ! tu pourras jouer quelque chose devant moi ; je te dirai ce qu’il en est, et te donnerai des conseils. Il peut t’advenir ce qu’il arriva à Charles Stamitz, qui se croyait la merveille des merveilles. Lorsque je lui eus ouvert les yeux, il jeta son violon dans un coin derrière le poêle ; il prit en main la basse de viole et la viole d’amour, et fit bien. Il pouvait du moins faire manœuvrer ses larges doigts sur ces instruments et en jouer passablement. Eh bien ! je t’entendrai, mon enfant !

Ces premières paroles un peu singulières du baron me déconcertèrent ; tout ce qu’il me disait pénétrait profondément dans mon âme, et je sentais avec un découragement intérieur que, malgré mon enthousiasme pour le plus difficile et le plus mystérieux des instruments, je n’étais peut-être pas apte à la tâche à laquelle j’avais consacré ma vie.

On commença à jouer trois quatuors d’Haydn, qui étaient alors dans toute leur nouveauté. Mon maître tira son violon de sa boîte ; mais à peine en eut-il touché les cordes pour l’accorder, que le baron se boucha les deux oreilles et s’écria comme hors de lui :