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extérieur, qui est orné d’une magnifique terrasse et sert de promenade aux Maures. Chaque nuit les chants voluptueux des païens retentissaient jusque dans notre camp, comme des voix séduisantes de sirènes, et c’était à cause de cela que le vaillant Aguillar voulait détruire ce repaire du crime.

Déjà il s’en était emparé, déjà les femmes prisonnières étaient emmenées pendant le combat, quand tout à coup un renfort inattendu le força, malgré la plus courageuse résistance, à se désister de son entreprise et à se retirer dans le camp. L’ennemi n’osa pas le poursuivre, et ainsi les prisonnières et un riche butin lui restèrent.

Parmi les prisonnières, il y en eut une dont les longues lamentations et le désespoir attirèrent l’attention de don Aguillar. Il s’approcha de cette femme voilée et lui adressa des paroles bienveillantes ; mais elle, comme si sa douleur ne connaissait d’autre langage que le chant, prit une mandoline suspendue à son cou par un ruban d’or, et après avoir tiré de l’instrument des accords étranges, entonna une romance dont les sons exprimaient la douleur mortelle de se séparer de son amant et de toutes les joies de la vie. Aguillar, profondément ému de ces merveilleux accents, résolut de faire reconduire cette femme à Grenade. Elle se précipita à ses pieds en relevant son voile.

Alors Aguillar, hors de lui-même, s’écria :

— N’es-tu pas Zuléma, l’astre des chants de Grenade ?

C’était elle en effet, c’était Zuléma que le général avait vue lors d’une mission à la cour du roi Boabdil, Zuléma dont le chant retentissait depuis dans le fond de son cœur.

— Je te rends la liberté ! s’écria Aguillar.

Mais le révérend père Agostino Sanchez, qui, la croix à la main, avait participé à l’expédition, prit la parole en ces termes :

— Souviens-toi, messire, qu’en relâchant ta prisonnière, tu lui fais bien du mal ; car, arrachée au faux culte, et éclairée par la grâce du Seigneur, elle serait peut-être retournée dans le sein de l’Eglise.

Aguillar répondit :

— Qu’elle reste un mois parmi nous, et si au bout de ce temps elle ne se sent pas pénétrée de l’esprit du Seigneur, elle sera ramenée à Grenade.

Il arriva, ô reine ! que Zuléma fut reçue dans notre cloître. D’abord elle se livra à la douleur la plus déchirante, et tantôt c’étaient des romances