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homme devait être aliéné, ou l’un des membres de l’Académie de San-Luca à lui inconnu.

Rome entière était occupée du miraculeux tableau de Scacciati. À peine parlait-on d’autre chose, et cela seul était une preuve suffisante de l’excellence de l’ouvrage. Comme les peintres étaient de nouveau rassemblés dans l’église de San-Luca pour voter sur la réception de plusieurs candidats, Salvator Rosa demanda, à l’improviste, si le peintre, auteur de la Madeleine aux pieds du Christ, aurait été digne d’être admis à l’Académie. Tous les juges, sans même en excepter le chevalier Josepin, dont l’habitude était de tout critiquer outre mesure, affirmèrent d’une seule voix qu’un maître de ce mérite aurait été l’ornement de l’Académie, et se mirent en frais d’éloquence pour déplorer sa perte, dont, au fond du cœur, ils ne songeaient, comme le vieux fou, qu’à remercier le ciel.

Ils poussèrent même l’enivrement à ce point qu’ils résolurent, en dépit de sa mort, de décerner au jeune peintre, trop tôt ravi par la tombe à la gloire de l’art, un brevet d’académicien, et de faire dire des messes dans l’église de San-Luca pour le salut de son âme. Ils prièrent, en conséquence, Salvator de leur indiquer exactement les noms du défunt, l’année et l’endroit de sa naissance.

C’est alors que Salvator se leva, et à haute voix dit : « Eh, Messieurs, l’honneur que vous voulez conférer à un mort couché dans sa tombe, vous êtes à même d’en faire jouir plus positivement un vivant qui marche, pour ainsi dire, à vos côtés. Sachez que