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portez-la de nuit et à la dérobée chez moi, et laissez- moi pourvoir au reste ; — Y consentez-vous ?

« Mille et mille fois joyeux, répondit Antonio. — Ah ! que je voudrais m’ouvrir à vous aussi dés-à-présent sur mes chagrins d’amour ; mais j’aurais scrupule de le faire le même jour où nous nous sommes mutuellement communiqué nos sentiments sur l’art.— Plus tard je viendrai encore implorer, dans l’intérêt de mon amour, vos secours et vos conseils. — Les uns et les autres sont à votre service, répondit Salvator, en tous lieux et chaque fois que vous en aurez besoin. »

En s’éloignant, Salvator se retourna encore une fois et dit en souriant : « Écoutez, Antonio, lorsque vous m’avez découvert que vous étiez peintre, le souvenir de cette ressemblance que je vous avais trouvée avec Sanzio vint me donner une secousse. Je voyais déjà en vous un de ces jeunes extravagants qui, pour l’analogie qu’ils ont dans quelques traits du visage avec tel ou tel maître, s’arrangent aussitôt la barbe et les cheveux à son instar, et ne se soucient d’autre vocation pour se faire, en dépit de leur propre nature, les singes de l’artiste et de sa manière. — Nous n’avons prononcé, ni l’un ni l’autre, le nom de Raphaël : je vous le dis pourtant, j’ai trouvé dans vos tableaux des indices manifestes que l’étincelle du feu sacré a jailli pour vous des ouvrages divins du plus grand peintre de l’époque. Vous avez compris Raphaël, et vous ne me répondriez pas comme Velasquez, à qui je demandais l’autre jour ce qu’il pensait de Sanzio : savoir que Titien