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sans lisières, s’efforcer de reproduire la nature d’après ses propres sensations. — Cette appréciation consciencieuse et personnelle peut seule enfanter un talent vrai et caractérisé. Guido n’avait point d’autre opinion, et le turbulent Petri, surnommé, comme vous savez, le Calabrois, un peintre qui avait approfondi son art avec conscience, m’avertissait sans cesse de me tenir en garde contre ce défaut de servilité. — Maintenant, Salvator, vous savez pourquoi je vous honore si particulièrement, sans être votre parodiste. »

Salvator avait eu constamment les yeux attaches sur ceux du jeune homme en l’écoutant, et quand il eut cessé de parler, il le pressa ardemment contre son cœur.

« Antonio, lui dit-il ensuite, vous venez de prononcer des paroles éminemment sensées. Tout jeune que vous êtes, vous pouvez, en ce qui regarde l’intelligence de l’art, passer pour supérieur à des maîtres très vieux et très vantés, qui s’aventurent fort et déraisonnent sur la matière sans en approfondir jamais l’essence. En vérité, je me suis senti, en vous entendant parler de mes tableaux, comme dévoilé à moi-même, et vous qui ne pensez pas qu’il suffise, pour imiter mon genre, d’emplir un pot de couleur noire, de bigarrer la toile de tons criards, ou même de planter sur la boue du chemin une paire de figures estropiées avec des mines sinistres, et de s’imaginer aprés, comme tant d’autres font, que le Salvator est complet : vous avez droit à toute mon estime, et, dès ce moment, vous possédez en moi l’ami le plus