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de Hoffmann.

les facultés de son âme, il parut, dès son entrée en scène, un tout autre homme qu’on ne le connaissait. Ses yeux étincelaient, et la voix creuse et cassée du vieillard hypocondre, décrépit, avait fait place à une basse accentuée et retentissante, pareille à l’organe de certains individus d’un âge mûr, et qui distingue, par exemple, ces oncles riches qui au théâtre exercent la justice poétique en dispensant à la vertu des récompenses et un châtiment à la folie. Le début de la pièce toutefois ne laissa soupçonner rien d’extraordinaire. Mais quelle fut l’extrême surprise du public quand, après une ou deux scènes de travestissement du directeur-acteur, notre homme inconcevable s’adressa tout-à-coup au parterre lui-même, avec un sourire sardonique, et lui tint à peu près ce langage.

« Est-ce que les très honorables spectateurs n’auraient pas, comme moi, reconnu du premier coup d’œil M. le directeur ?… (Il prononça le nom du directeur.) Est-il possible de vouloir baser la force de l’illusion sur la coupe d’un habit, tantôt large, tantôt étroit, ou sur l’aspect d’une perruque plus ou moins fournie, et d’espérer par là faire valoir un chétif talent, dépourvu d’ailleurs de toute capacité, et semblable à un pauvre enfant qui languit privé du sein nourricier ? Le jeune homme qui veut se faire passer à mes yeux, avec tant de maladresse, pour un artiste protée, pour un génie caméléonien, aurait au moins du éviter de gesticuler incessamment d’une manière si exagérée, de se laisser retomber sur lui-même, à la fin de chaque période,