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de Hoffmann.

Il arriva qu’un dimanche je trouvai toutes les places de la table d’hôte occupées, hors une seule qui restait vacante auprès du vieux comédien. Je m’y assis avec empressement, dans l’espoir de réussir à mettre en relief les facultés d’esprit supérieures dont je le supposais doué. Il était très difficile, pour ne pas dire impossible, d’entamer cet homme qui s’échappait soudain quand on croyait le tenir, et se retranchait dans des protestations de déférence exagérées. À la fin, et quand je l’eus forcé, avec beaucoup de peine, à accepter quelques verres d’un vin généreux, il me parut s’animer un peu, et il parla avec une émotion visible du bon vieux temps du théâtre, temps, hélas ! disparu sans aucune chance de retour.

On quitta la table, et quelques amis m’abordèrent : le bonhomme voulait se retirer. Je le retins avec obstination, malgré ses humbles doléances sur ce qu’un pauvre acteur décrépit, tel que lui, n’était pas une société pour des gentilshommes aussi honorables, que les convenances lui faisaient un devoir de se retirer, que sa place n’était pas en semblable compagnie, qu’il ne pouvait guère y être toléré que pour la courte durée du repas, etc., etc. Enfin, ce fut, non pas au pouvoir de mon éloquence, mais plutôt à la séduction irrésistible de l’offre d’une tasse de café et d’une pipe de tabac superfin dont j’étais muni, que je dois attribuer sa condescendance à mes sollicitations.

Il nous parla avec autant d’esprit que de vivacité du vieux temps du théâtre. Il avait vu Eckhof, et joué avec Schrôder. Bref, nous acquîmes la con-