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nael : Coppelius alors le saisit et l’entraîne dans un cercle de feu qui tourbillonne, siffle, mugit et l’emporte avec la vitesse de l’ouragan ; c’est un fracas pareil à celui des vagues de l’Océan, soulevées par la tempête en fureur et entrechoquant leurs cimes écumeuses comme de noirs géants à la tête chenue. Mais au travers de ce désordre sauvage la voix de Clara se fait entendre — « Me voici ! qui t’empêche donc de me voir ? Coppelius t’a abusé : ce n’étaient pas mes yeux qui brûlaient ainsi ton sein, mais des gouttes ardentes du sang de ton propre coeur ; j’ai mes yeux, regarde-moi donc ! — Nathanael se dit : Oui, c’est bien Clara et je veux être éternellement à elle. » — Alors, comme subitement arrêté par la force de sa pensée, le cercle enflammé se dissipe et tout le fracas se perd sourdement dans les noirs abîmes. Nathanael cherche à lire dans les yeux de Clara, mais c’est la mort qui est devant lui et qui le regarde, avec les yeux de Clara, d’un air de tendresse.

Nathanael s’occupa de cette composition avec beaucoup de calme et de réflexion. Il retouchait et corrigeait chaque passage, et, comme il s’était astreint à une mesure de strophes, il n’eut pas de repos jusqu’à ce que tout fût bien d’accord, châtié et ronflant. Pourtant, lorsqu’il eut achevé sa tâche et qu’il relut tout seul son poème à haute voix, il fut saisi d’épouvante et d’horreur, et il s’écria : « Qui prononce ces affreux accents ! » — Et puis, bientôt après, il envisagea encore son ouvrage comme un simple travail d’esprit où il avait réussi, et qu’il se persuada être de nature à embraser l’âme froide de