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notre chagrin. En outre, il ne nous appelait jamais autrement que les petites bêtes ; enfin, il nous était interdit de donner, en sa présence, le moindre signe de vie, et nous maudissions le vilain et méchant homme qui se complaisait avec calcul à empoisonner le moindre de nos plaisirs. Notre mère paraissait détester autant que nous le hideux Coppelius ; car, dès qu’il se montrait, sa gaîté, ses manières franches et naïves faisaient place à une gravité triste et sombre. Pour notre père, il se conduisait à son égard comme si c’eût été un être supérieur, dont on dût supporter toutes les impolitesses, et qu’il fallût tâcher, à tout prix, de maintenir en bonne humeur. Aussi l’autre n’avait qu’à faire un léger signe, et ses plats de prédilection étaient aussitôt apprêtés, et les vins les plus précieux lui étaient servis.

» À la vue de ce Coppelius donc, il me vint l’affreuse et effrayante pensée que l’homme au sable n’était nul autre que lui ; mais dans l’homme au sable je ne voyais plus cet épouvantail du conte de la nourrice arrachant aux enfants leurs yeux pour la becquée de son nid de hiboux dans la lune, — non, je voyais un méchant esprit de ténèbres qui, partout où il parait, apporte le malheur, la ruine et le désespoir dans cette vie et pour l’éternité !

» J’étais complètement ensorcelé. — Dans le danger d’être découvert et, comme je le craignais, sévèrement puni, je me tins immobile, la tête en avant, regardant à travers le rideau. Mon père reçut Coppelius avec cérémonie. — « Allons, à l’œuvre ! » s’écria celui-ci d’une voix rauque et ronflante en met-