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— Riez, je vous prie, moquez-vous de moi de tout votre cœur : je vous en conjure instamment ! — Mais, Dieu du ciel ! mes cheveux se dressent d’effroi, et il me semble que cette inspiration de solliciter vos railleries part d’un désespoir insensé, comme les prières que Franz Moor adresse à Daniel1… mais venons au fait.

» Enfants, ma sœur et moi, c’était fort rarement, hormis l’heure du dîner, que nous voyions mon père durant la journée ; il devait être fort occupé par ses affaires. Mais après le repas du soir, qui était servi à sept heures, suivant les vieux usages, nous allions, ainsi que ma mère, avec lui dans son cabinet de travail, et nous prenions tous place autour d’une table ronde.

» Mon père fumait, un grand verre de bière devant lui. Souvent il nous racontait beaucoup d’histoires merveilleuses, et avec un tel entraînement que sa pipe s’éteignait toujours. Alors, j’étais chargé de la rallumer avec du papier enflammé, ce qui m’amusait infiniment. Souvent aussi, il nous mettait dans les mains des livres d’images, et il restait assis dans son fauteuil, immobile et taciturne, en renvoyant des nuages de fumée qui nous enveloppaient tous comme d’un épais brouillard. Ces soirs-là, notre mère paraissait fort triste ; et à peine l’horloge sonnait-elle neuf heures : « Allons, enfants ! disait-elle, au lit, au lit ! voici l’homme au sable : je l’entends qui vient. » — Effectivement, j’entendais toujours alors dans l’escalier un bruit de pas qui semblaient monter pesamment et avec lenteur : ce devait être l’homme au sable. Une fois, ce bruit