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père Martini ; elle savait qu’Angela chantait sans cesse cet air au conseiller dans les beaux jours de leurs amours. Krespel répandait des torrents de larmes ; il n’avait jamais entendu chanter de la sorte, même Angela. Le timbre de la voix d’Antonia était tout particulier et étrange, il ressemblait tantôt au murmure de la harpe éolienne, tantôt au chant sonore du rossignol. Les tons en paraissaient ne pouvoir se développer dans l’espace trop étroit d’une poitrine humaine. Antonia rayonnante, brillant de plaisir et d’amour, chanta et rechanta tous ses plus beaux airs, et B*** jouait en même temps, comme l’enthousiasme seul peut en rendre capable. Krespel nageait d’abord dans le ravissement, puis il devint préoccupé, silencieux..., rêveur. Enfin, il se leva, pressa Antonia contre son cœur, et la conjurant à voix basse et étouffée : « Ne plus chanter, si tu m’aimes ! dit-il, cela me fend le cœur ; — j’ai peur… j’ai peur..., oh ! ne chante plus !… »

Non, disait le lendemain le conseiller au docteur R***, non ! lorsque, pendant qu’elle chantait, deux taches d’un rouge vif se dessinèrent sur ses joues pâles, ce n’était plus une sotte ressemblance de famille, c’était ce que je craignais. » — Le docteur, qui manifestait une vive inquiétude depuis le commencement de ce discours, répliqua : « Soit que cela provienne d’efforts trop précoces pour chanter, soit que la nature en soit la cause, Antonia est affectée d’un défaut organique dans la poitrine, et c’est précisément ce qui donne à sa voix cette portée prodigieuse et un son si extraordinaire, pour ainsi dire