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naires. Il portait, comme de coutume, son habit gris, de forme étrange et taillé de ses propres mains. Seulement, du petit chapeau tricorne, qu’il avait enfoncé martialement sur une oreille, pendait un très long crêpe flottant à l’aventure. Il avait agrafé, autour de son corps, un ceinturon d’épée noir ; mais, au lieu d’épée, il y avait passé un long archet de violon. Un froid glacial parcourut mes membres. — Il est fou ! pensai-je en le suivant à pas lents. Ces hommes conduisirent le conseiller jusqu’à sa maison ; là, il les embrassa en riant aux éclats ; ils le quittèrent, et alors son regard tomba sur moi, qui me trouvais tout près de lui. Il me regarda longtemps fixement, puis il s’écria d’une voix sourde :

« Soyez le bien-venu, monsieur l’étudiant ! vous êtes de ceux qui comprennent, vous ! » —

À ces mots, il me saisit par le bras, m’entraîne dans la maison, monte l’escalier et m’introduit dans la chambre où étaient pendus ses violons. Tous étaient recouverts d’un crêpe noir. Le violon de l’ancien maître avait disparu. À sa place était une couronne de cyprès. — Je compris ce qui était arrivé : « Antonia ! ah, Antonia ! » m’écriai-je dans un affreux désespoir. Le conseiller se tenait près de moi, immobile et les bras croisés. Je montrai du doigt la couronne de cyprès. — « Lorsqu’elle mourut, dit le conseiller d’une voix étouffée et solennelle, lorsqu’elle rendit le dernier soupir, l’âme de ce violon se brisa avec un craquement horrible, et la table d’harmonie se déchira complètement. Le fidèle instrument ne pouvait vivre qu’avec elle et