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bouillonnantes comme des bras gigantesques, elle étreignit les deux amants, et les engloutit avec la vieille dans ses abimes sans fond.

Lorsque l’homme au manteau eût ainsi achevé sa narration, il se leva subitement et quitta la chambre à pas précipités. Les deux amis le regardèrent s’éloigner, en silence et tout interdits ; puis ils se mirent de nouveau à contempler le tableau. Le vieux doge leur souriait encore avec son luxe arrogant et sa vanité ridicule. Mais en regardant plus attentivement la dogaresse, ils aperçurent qu’une douleur secrète et indéfinissable voilait son front de lys de légers nuages ; ils virent de vagues et langoureuses rêveries d’amour jaillir sous ses cils d’ébène et voltiger au bord de ses lèvres veloutées. — À l’horizon des vagues, du sein des nuées vaporeuses qui enveloppaient San-Marco, un génie fatal paraissait dicter des présages de ruine et de mort. — La profonde signification de ce ravissant tableau se révéla à leur esprit ; mais, chaque fois qu’ils y jetaient les yeux, l’histoire des tristes amours d’Annunziata et d’Antonio leur revenait également à la mémoire, et les pénétrait, jusqu’au fond de l’âme, d’une mélancolique émotion.