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demande à éclater. C’est ainsi qu’Antonio trouva la force de dissimuler son brûlant amour, quoiqu’il fût si près d’Annunziata, qu’il touchait presque le bord de sa robe ; mais il n’en maniait pas moins l’aviron d’un bras vigoureux, et, dans la crainte de quelque tentation plus imprudente, il se hasardait à peine à regarder son idole de temps en temps et à la dérobée. Le vieux Falieri souriait, il baisait et caressait les petites mains blanches de la charmante Annunziata, il entourait de son bras sa taille gracieuse. Arrivé au milieu du bassin, d’où l’on voyait se déployer, au-dessus des flots, la place Saint-Marc, et la superbe Venise avec ses mille palais et ses tours altières, le vieux Falieri releva la tête et dit en promenant autour de lui des regards orgueilleux : « Dis, ma bien-aimée, n’est-il pas beau de voguer sur la mer avec le seigneur, avec l’époux de la mer ? — Oui, ma belle, va, ne sois point jalouse de cette fiancée qui nous porte humblement sur son dos. Écoute ce doux clapotement des vagues, ne sont-ce pas-là des paroles d’amour qu’elle chuchotte à l’époux qui la domine ? — Oui, oui, chère enfant, tu portes au doigt mon anneau nuptial, mais cette autre épouse conserve là-bas, dans la profondeur de son sein, l’anneau que je lui ai jeté le jour de nos fiançailles.

— Ah ! mon royal maître, dit Annunziata, comment donc as-tu pris pour épouse cette onde perfide et glacée ? je frémis en songeant au lien qui t’enchaîne à cet orgueilleux et despotique élément. »