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causer au doge et à la dogaresse l’affront le plus sensible. Du reste, il confessa tout sans détour et rejeta la faute entière sur le doge, qui l’avait offensé le premier. La seigneurie depuis longtemps était mécontente d’un chef qui, au lieu de remplir la juste attente de l’état, prouvait mieux chaque jour quelle triste métamorphose avait subie le cœur refroidi du vieillard épuisé. Son esprit guerrier et son ancienne hauteur pouvaient se comparer à ces feux d’artifice qui pétillent avec violence au moment de l’éruption, pour s’éteindre aussitôt et retomber en flocons noirs et en cendre morte. En outre, son alliance à une femme si belle et si jeune, hymen qu’on n’avait pas ignoré longtemps s’être conclu depuis son élection, et surtout sa jalousie ne faisaient plus paraître le vieux Falieri, dépouillé du caractère d’un héros belliqueux, que sous le masque d’un vecchio Pantalone5, et il était naturel que la seigneurie, au sein de laquelle fermentait ce levain d’irritation, fût portée à excuser la conduite de Michel Steno, plutôt qu’à venger l’amer grief de son chef suprême. Le conseil des dix renvoya l’affaire à celui des quarante, qui avait compté Michel parmi ses premiers membres. La sentence prononça que Michel Steno, déjà fort péniblement traité, serait assez puni de ses torts par un mois de bannissement. Cette décision ne fit qu’aigrir davantage, et à l’excés, le vieux Falieri contre la classe des patriciens qui, au lieu de défendre l’honneur de son chef, se contentait de réprimer les outrages qu’il avait reçus comme des fautes de la nature la plus vénielle.