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Michel Steno, qui se tenait sur la galerie même, placé de manière à ne pouvoir perdre de vue la dogaresse et à attirer inévitablement son attention. Enflammé d’une violente colère et dans le transport de sa jalousie, Falieri commanda, d’une voix haute et impérieuse, qu’on fît sortir immédiatement Steno de la galerie. Celui-ci menaça d’un geste Falieri ; mais aussitôt des gardes s’approchèrent et il fut obligé de quitter la place, grinçant des dents de rage, et jurant de se venger avec les plus horribles imprécations.

Cependant Antonio, mis complètement hors de lui par l’aspect de sa chère Annunziata, s’était fait jour à travers la foule et marchait au hasard le cœur déchiré par mille angoisses, seul, et dans une obscurité profonde, sur le rivage de la mer. Il pensait s’il ne vaudrait pas mieux éteindre dans les flots glacés l’ardeur qui le dévorait, que de souffrir jusqu’à la mort la lente torture de son inconsolable infortune. Il s’en fallut de peu qu’il ne se précipitât dans la mer : il touchait déjà à la dernière marche qui y descendait, quand une voix lui cria d’une barque amarrée près de là : « Bien le bonsoir, messire Antonio ! » Au reflet des illuminations de la place, Antonio reconnut le joyeux Piétro, un de ses anciens camarades, qui était dans la barque avec une casaque neuve rayée, ornée de rubans de couleur, des plumes et du clinquant sur son beau bonnet, et un superbe bouquet de fleurs odoriférantes à la main. « Bonsoir, Piétro ! lui répondit Antonio, quel grand seigneur as-tu ce soir encore à conduire pour t’être fait si beau ? — Eh ! signor