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la dogaresse, à laquelle il présente le bouquet de fleurs, quand le doge n’est pas seul.

Le jour suivant, le doge fit ce qu’il avait annoncé. Il fit revêtir à Annunziata le costume le plus magnifique, et escorté de la seigneurie, suivi de gardes et de pages, Falieri traversa la place Saint-Marc inondée de peuple. On se pressait, on se poussait à risquer la vie pour voir la belle dogaresse, et chacun de ceux qui y parvenaient disait avoir vu le paradis entr’ouvert, et croyait à la merveilleuse apparition de quelque figure d’ange, radieuse et éblouissante. Mais les Vénitiens sont ainsi faits ; au milieu des transports les plus excessifs de l’admiration, on entendaiit, de côte et d’autre, maint propos railleur, maint rude brocard décoché contre le vieux Falieri, au sujet de sa jeune épouse. Falieri paraissait ne pas s’en apercevoir ; mais, oubliant pour cette fois toute idée de jalousie, il marchait à côté d’Annunziata aussi pathétiquement que possible et souriait avec complaisance, quoiqu’il pût voir sa belle épouse en proie de toutes parts à mille regards dardant sur elle les flammes d’un désir effréné.

Les gardes avaient, quoiqu’avec peine, écarté la foule du peuple devant la porte principale du palais, de sorte que le doge y étant arrivé avec sa femme, n’y trouva que quelques groupes de bourgeois bien vêtus, auxquels on n’avait pu refuser l’entrée de la cour intérieure du palais. Il arriva qu’au moment où la dogaresse pénétrait dans la cour, un jeune homme qui, avec plusieurs autres personnes, se tenait sous la colonnade, tomba raide sans connaissance sur le