vieux Falieri, qui ne voulut cependant revenir en rien sur sa détermination. — Tout cela se passait peu de temps avant le jeudi gras. Il était en usage que, pendant les fêtes populaires qui ont lieu à cette occasion sur la place Saint-Marc, la dogaresse prenne place auprès du doge sous un dais qui surmonte une galerie établie vis-à-vis de la piazetta. Bodoeri rappela au doge cette circonstance, et lui dit qu’à son avis ce serait un manque de bon sens, si, contrairement à l’habitude et à toutes les traditions, il privait Annunziata de cet honneur, exprimant combien le peuple, autant que la seigneurie, se moquerait de son procédé et de son injuste jalousie. « Crois-tu donc, répliqua le vieux Falieri, sentant son orgueil stimulé, crois-tu que, tel qu’un vieux fou imbécile, je craigne de produire au grand jour mon précieux trésor, de peur qu’on me le ravisse, et que je ne puisse empêcher ce larcin grâce à ma bonne épée ? — Non, vieux, tu te trompes : dès demain je veux me montrer solennellement avec Annunziata, suivi d’un splendide cortége, sur la place Saint-Marc, afin que le peuple salue sa dogaresse ; et le jeudi gras elle recevra l’offrande du hardi matelot qui doit s’élancer du haut des airs le bouquet de fleurs à la main. » Le doge faisait allusion à une vieille coutume vénitienne. Le jeudi gras, un homme du peuple entreprenant monte dans une machine en forme de nacelle, suspendue à une corde qui plonge d’un côté dans la mer, et de l’autre est fixée au faite de la tour de Saint-Marc, et de là il glisse, avec la rapidité d’une flèche, jusqu’à la place où siègent le doge et
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