Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/206

Cette page n’a pas encore été corrigée

aurait pu reconnaitre dans ce vieillard amoureux et efféminé le vainqueur du valeureux Morbassan, et ce Falieri qui, dans un fol accès de courroux, frappa un jour de Fête-Dieu l’évêque de Trévise au visage ? Cet excès de faiblesse enhardit Michel Steno à tenter les entreprises les plus insensées. Annunziata, ne comprenant rien à ce que Michel voulait d’elle en la persécutant de ses regards et de ses compliments, ne se départit point de sa douce affabilité, ni de son calme habituel ; et ce calme constant et cette naïveté virginale qui promettaient à son poursuivant si peu de consolation mirent celui-ci au désespoir ; alors il songea à recourir à d’infâmes moyens. Il parvint à nouer une intrigue galante avec la femme de chambre favorite d’Annunziata et en obtint des rendez-vous nocturnes. Il crut ainsi s’être frayé la route de l’appartement, non encore profané d’Annunziata ; mais la providence fit retomber sur la tête de son perfide auteur cette coupable manœuvre.

Une nuit que le doge venait de recevoir la mauvaise nouvelle de la bataille perdue par Nicolò Pisani contre Doria, près de Porto-Longo ; comme il parcourait, dans son insomnie et dévoré d’inquiétude, les galeries du palais ducal, il aperçut tout-à-coup du côté des appartements d’Annunziata une ombre s’échapper et se glisser vers les escaliers. Il s’élança aussitôt : c’était Michel Steno, qui sortait de chez sa maitresse. Une affreuse pensée se présenta à Falieri : « Annunziata ! » cria-t-il, et il se précipita sur Steno le stylet à la main. Mais Steno, plus agile et plus vigoureux que le vieillard, esquiva le coup,