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le Rialto avec un Arménien ; ils étaient d’accord sur le marché et se donnèrent une poignée de main amicale. Le petit père avait cédé à l’Arménien, à bas prix, quelques bons articles, et il réclama, suivant son habitude, la bagatelle per il figliuolo. L’Arménien, un homme grand et fort, avec une barbe épaisse et crépue (il me semble encore le voir), me regarda avec complaisance, puis il m’embrassa et me mit dans la main une couple de sequins que je serrai promptement dans ma poche. Nous gagnâmes en gondole la place Saint-Marc. Chemin faisant, père Blaunas me demanda les sequins, et je ne sais comment je m’y pris pour appuyer mon droit à les garder moi-même, puisque telle avait été l’intention de l’Arménien. Le vieillard prit de l’humeur ; mais pendant qu’il me querellait, j’observai que son visage se couvrait d’une vilaine teinte jaune et terreuse, et qu’il mêlait à son discours une foule de propos décousus et extravagants. Arrivé sur la place, il chancela quelque temps comme un homme ivre, et puis il tomba raide mort tout près du palais ducal. Je me précipitai sur son cadavre avec de grands cris de désespoir. Le peuple accourut en foule, mais, dès qu’une voix eut lancé le cri terrible, la peste !… la peste !… tout se dispersa avec épouvante. Dans cet instant je fus saisi d’un vague étourdissemeut et je perdis connaissance. — À mon réveil je me trouvai dans une vaste pièce, sur un mince matelas, enveloppé d’une couverture de laine. Autour de moi étaient étendus de la même manière vingt ou trente individus pâles et souffreteux. Comme je l’appris