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et il passait toute la journée au Rialto à faire tantôt le courtage, tantôt des marchés pour son propre compte. J’avais pour consigne de rester constamment derrière lui, et il ne manquait jamais, dès qu’il avait conclu un marché, de demander en outre une bagatelle pour le figliuolo, le petit bonhomme. Mon air décidé provoquait les acheteurs à lâcher encore deux ou trois quattrini que le vieux empochait avec une satisfaction marquée en me caressant les joues, et me répétant qu’il mettait tout cela de côté pour m’acheter un habit neuf.

» Je me trouvais réellement bien chez le vieux que l’on appelait partout, je ne savais pourquoi, père Blaunas. Mais cela ne dura pas long-temps. Tu te souviens, la vieille, de ce jour terrible où la terre se mit à trembler, où l’on vit les tours et les palais vaciller ébranlés jusque dans leurs fondements, où les cloches sonnèrent d’elles-mêmes comme agitées par des bras de géants invisibles. Sept ans sont à peine écoulés depuis cette catastrophe. Je m’échappai heureusement avec le vieillard de sa maison qui s’écroula derrière nous. — Toutes les affaires avaient cessé, tout était sur le Rialto dans une morne stupeur. Mais cet horrible fléau ne fut que le précurseur du monstre dévorant qui s’approchait et qui bientôt exhala sur la contrée et sur la ville son souffle empoisonné. On savait que la peste, qui avait pénétré du Levant en Sicile, exerçait déjà ses ravages dans la Toscane. Mais Venise n’en était pas encore infestée.

» Or, un jour le petit père Blaunas négociait sur