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l’orgueilleux Doria ne serait pas sur notre dos ! » — Des soldats invalides levaient avec peine leurs bras mutilés et s’écriaient : « C’est Falieri qui a battu Morbassan. C’est ce vaillant capitaine qui promenait sur les mers son pavillon victorieux ! » Dans chaque groupe de peuple on se racontait les hauts faits du vieux Falieri, et les airs retentissaient de cris d’allégresse, comme si Doria eût été déjà battu. — Sur ces entrefaites Nicolò Pisani, qui, au lieu de se porter avec la flotte à la rencontre de Doria, avait, Dieu sait dans quel but, fait voile tranquillement pour la Sardaigne, reparut enfin.

Doria abandonna le golfe, et ce résultat, dû au retour de la flotte de Pisani, fut attribué à l’influence redoutée du nom de Marino Falieri. Le peuple et les patriciens se livrèrent alors aux démonstrations d’une joie extravagante, motivées sur la bienheureuse élection ; et l’on résolut, pour la signaler d’une manière extraordinaire, de recevoir le nouveau doge comme un envoyé du ciel, dont la présence équivalait à l’honneur, à la victoire et à l’apogée de toutes les félicités. Douze nobles, chacun avec une suite nombreuse et brillante, furent députés par la seigneurie jusqu’à Vérone, où Falieri, aussitôt aprés son arrivée, fut officiellement investi, par les envoyés de la république, du titre de chef de l’état. — Quinze barques richement décorées, armées par le Podestat de Chioggia, et commandées par son propre fils, Taddeo Giustiniani, allèrent prendre à Chiozzo le doge et sa suite ; de là il vogua, pareil au plus puissant monarque le jour d’une victoire,