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rigueur, paraître aussi préjudiciable, sous le rapport des opérations militaires de première obligation en ce moment ; car le bon petit comte affectionnait surtout la paix et la tranquillité, il préférait le merveilleux spectacle des observations astronomiques aux arides travaux de la politique, et s’entendait mieux à régler l’ordre d’une procession à la sainte fête de Pâques, qu’à diriger une armée.

Il s’agissait donc d’élire un doge qui, doué à la fois des qualités solides d’un habile administrateur et de celles d’un valeureux général, pût sauver la république, ébranlée jusque dans ses fondements, de l’atteinte menaçante d’un ennemi de jour en jour plus entreprenant. Les sénateurs s’assemblèrent, mais ne s’offrirent que des visages soucieux, des regards mornes, des têtes penchées que leurs mains avaient peine à soutenir. Où trouver un homme qui fût capable, en ces conjonctures, de raffermir le gouvernail ébranlé et de le diriger d’une main sûre ? Le plus âgé des membres du conseil, nommé Marino Bodoeri, éleva enfin la voix. « Ce n’est pas ici, ni hors de cette enceinte, ni parmi nous que vous le trouverez, dit-il ; mais que vos regards tournés vers Avignon s’arrêtent sur Marino Falieri, que nous y avons envoyé pour féliciter le pape Innocent sur son avènement. Il peut, lui, s’employer aujourd’hui plus utilement pour nous ; il peut, lui, s’il est nommé doge, réparer tous nos malheurs. On objectera peut-être que Marino Falieri a déjà quatre-vingts ans, que l’âge a blanchi sa barbe et ses cheveux a l’instar de la neige, enfin, et ce sont des propos de