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commentaires. Sans m’embarrasser de deviner le trait positif de la vie de ce doge qu’a reproduit l’artiste, cet éclat de richesse et de puissance qui domine l’ensemble me saisit d’une émotion vague et indéfinissable. Vois ce pavillon, qui porte le lion ailé, comme il se déploie dans l’air, emblème vivant de l’empire du monde. — Ô superbe Venise ! » Il se mit à répéter l’énigme de Turandot sur le lion adriatique : « Dinimi qual sia quella terribil fera, etc. » À peine eut-il fini, qu’une voix sonore fit entendre la solution de Calaf : « Tu quadrupede fera, etc1. »

À l’insu des deux amis un homme d’un aspect noble et imposant s’était approché d’eux, un manteau gris pittoresquement jeté sur l’épaule, et contemplant le tableau avec des yeux étincelants. — On lia conversation, et l’étranger dit d’un ton presque solennel : « C’est un mystérieux phénomène en effet. Tel artiste rêve un tableau dont les figures, d’abord insaisissables comme des vapeurs flottant dans l’espace, semblent n’adopter une forme, un caractère, qu’au gré de son esprit, et n’avoir de patrie que dans son imagination, et puis il arrive que ce tableau réalisé, se liant soudain au passé et même à l’avenir, est l’image exacte d’un fait accompli ou qui se produira plus tard. Peut-être Kolbe lui-même ignore-t-il que les personnages qu’il a peints sur cette toile ne sont autres que le doge Marino Falieri et son épouse Annunziata. » — L’étranger se tut, mais les deux amis le pressèrent de leur donner l’éclaircissement de cette énigme, ainsi qu’il avait fourni l’explication de celle du lion adriatique.