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décorée, ornée d’un pavillon aux armes de Venise et occupée par deux rameurs. Dans le fond s’étend la mer couverte de mille voiles, et l’on voit les tours et les palais de la splendide Venise qui surgissent des flots. À gauche on distingue San-Marco, à droite, et plus rapproché, San-Giorgio-Maggiore. Sur le cadre doré du tableau sont gravés ces mots :

Ah senza amare
Andare sul mare
Col sposo del mare
Non può consolare.

Suivre sur la mer
L’époux de la mer
Las ! ne peut charmer
Cœur privé d’aimer.

Devant ce tableau il s’éleva un jour une discussion frivole pour savoir si le peintre avait voulu représenter des personnages historiques, ou bien s’il n’avait songé à faire de l’art que pour l’art, c’est-à-dire, à figurer, comme l’indiquaient suffisamment les vers ci-dessus, la situation d’un homme âgé et presque éteint qui, malgré toutes les satisfactions et les splendeurs imaginables, ne peut apaiser l’inquiétude et les désirs d’un cœur avide. Las de bavarder, les interlocuteurs quittèrent la place l’un aprés l’autre, et il ne resta plus devant le tableau que deux zélés amateurs du noble art de la peinture.

« Je ne sais pas, dit l’un, comment l’on peut ainsi corrompre sa propre jouissance avec ces éternels