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Mais la malveillance de ses ennemis causait à Salvator un chagrin excessif, et il sentait ses forces vitales affectées d’une langueur morbide, fruit de l’exaspération et de la mauvaise humeur.

Ce fut sous cette influence qu’il composa deux grands tableaux qui mirent toute la ville de Rome en émoi. L’un d’eux représentait l’instabilité des choses terrestres, et la figure principale, où le peintre avait personnifie l’inconstance sous l’emblème d’une profession honteuse, ressemblait évidemment à la maîtresse connue d’un cardinal. Le sujet du second tableau était la Fortune occupée à partager ses lots précieux ; mais sa main faisait pleuvoir les chapeaux de cardinaux, les mitres épiscopales, les pièces d’or et tous les insignes d’honneur, sur des ânes bâtés, sur d’ineptes moutons, et d’autres vils animaux, tandis que des hommes de l’aspect le plus noble, et couverts de haillons, attendaient vainement la moindre largesse. Salvator n’avait pris conseil que du dépit et d’une ironique amertume, et les têtes de ces animaux offraient la ressemblance de plusieurs personnages haut placés.

On peut s’imaginer quel redoublement de haine suscita sa hardiesse et quelles violences se déchainèrent contre lui. Dame Catterina le prévint, en pleurant, qu’elle s’était aperçu qu’à la tombée de la nuit des gens suspects rôdaient aux abords de la maison, et paraissaient épier chacun de ses pas.

Salvator reconnut la nécessité de quitter Rome, et il serait parti sans regrets, n’eût été sa séparation forcée d’avec dame Catterina et ses deux filles.