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larges allées du jardin de Saxe, et voilà que le géant Gargantua gît sans mouvement sous vingt-huit gros volumes d’actes comme sous autant de rochers lancés par la main terrible de Jupiter tonnant, et le Renégat5 gémit sous le poids de trois assassins qui, sur le point de partit pour le bagne, se vengent par ce dernier meurtre. Varsovie est une ville bien vivante, bien bruyante, surtout dans la rue Fréta, où je demeure. Hier, le jour de l’Assomption, je laissai là mes actes, et, m’étant assis au clavecin, j’essayai de composer une sonate pour me distraire ; hélas ! je me trouvai bientôt dans la position du musicien enragé de Hogarth. Tout juste sous mes fenêtres il s’éleva une querelle entre trois marchands de farine, deux routiers et un marinier ; les parties plaidaient fort énergiquement devant un marchand fruitier qui a son magasin dans un caveau, tout près de là ; par malheur les cloches de l’église paroissiale, de l’église des Dominicains, furent mises en branle ; en face de moi, près du cimetière des Dominicains, de pieux catéchumènes battaient à grands tours de bras deux vieilles timbales ; les chiens du voisinagé aboyaient et hurlaient. Dans ce moment la troupe équestre de Loembach vint à passer au son des trompettes et de la grosse caisse ; un troupeau de porcs, débouchant par


5. « Le Renégat, opéra comique, chef-d’œuvre du spirituel auteur de Gargantua, qui l’achèvera avec l’aide de Dieu, vers l’année 1888 : le Renégat fera oublier tout ce que ce misérable barbouilleur de Goethe écrit dans ce genre. » (Note d’Hoffmann)