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homme qui sacrifie à une idée élevée et exceptionnelle, qu’a pu seule engendrer une inspiration sublime et surhumaine, son repos, son bien-être, et même sa vie, sera inévitablement taxé de démence par ceux dont toutes les prétentions, toute l’intelligence et la moralité se bornent à perfectionner l’art de manger, de boire, et à n’avoir point de dettes. Mais cette démarcation complète entre deux natures distinctes, dont l’homme sage et raisonnable par excellence prétend s’attribuer le bénéfice, n’est-elle pas un hommage plutôt qu’une insulte pour son antagoniste ? — Ainsi parlait souvent mon maître et ami Jean Kreisler.

Ah ! j’avais compris au changement total de ses manières qu’il devait avoir reçu quelque funeste nouvelle. Son courroux intérieur éclatait par intervalles en violents transports, et je me souviens qu’il voulut même une fois me jeter un bâton à la tète ; mais il s’en repentit aussitôt, et m’en demanda pardon les larmes aux yeux. — Je ne sais pas quel avait été le motif de cette perturbation morale, car je ne l’accompagnais que dans ses promenades du soir ou pendant la nuit, tandis que le jour je gardais son petit ménage et ses trésors musicaux. Mais bientôt après il vint chez lui une troupe de gens qui débitèrent à l’envi l’un de l’autre mille absurdités, parlant sans cesse de remontrances sensées, de guérison intellectuelle. Jean put apprécier en cette occasion ma force et mon courage ; car, exaspéré comme je l’étais déjà contre ces malotrus, Dieu sait avec quelle ardeur, sur le premier signe de sa main,