Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 3, trad. Egmont, 1836.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
de Hoffmann

qu’il y ait jamais eu. Il court sur son compte toutes sortes d’histoires singulières qui jettent sur elle un jour bien mystérieux. Tu es une preuve de cette séduction irrésistible qu’elle exerce à son gré sur les hommes, et du pouvoir qu’elle a de les enchaîner à elle par des liens indissolubles ; tu es complètement changé, tu es entièrement captivé par cette décevante syrène et tu as oublié ta bonne et tendre ménagère ! »

À ces mots, Érasme se couvrit le visage de ses deux mains ; il pleura amèrement, et prononça plusieurs fois le nom de sa femme. Frédéric s’aperçut bien qu’il se livrait à lui-même un douloureux combat. « Spikher ! poursuivit-il, partons vite ! – Oui, tu as raison, Frédéric, s’écria Spikher avec véhémence ; je ne sais quels pressentiments sombres et lugubres s’emparent de mon âme : il faut que je parte, que je parte aujourd’hui même. »

Les deux amis marchaient devant eux à la hâte, lorsque signor Dapertutto vint à passer devant eux. Il cria à Érasme en lui riant au nez : « Vite ! dépêchez vous, volez donc : Giulietta meurt déjà d’impatience, elle attend le cœur plein de langueur et les yeux baignés de larmes. Hâtez-vous donc ! hâtez-vous ! » – Érasme s’arrêta comme frappé de la foudre. « Voilà un maraud, dit Frédéric, un charlatan que je déteste du fond de l’âme. Eh bien, il rôde sans cesse chez Giulietta, à qui il vend ses drogues ensorcelées. – Quoi ! s’écria Érasme, cet abominable drôle va chez Giulietta ? – chez Giulietta !…

– » Mais qui donc a pu vous retenir aussi long-