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Contes

néantir en toi seule ; je ne veux être que toi… » Ainsi divaguait Érasme, et il aurait continué si Giulietta ne l’eût relevé doucement par le bras. Rappelé à lui-même, il se rassit auprès d’elle, et bientôt recommencèrent les joyeux badinages de galanterie et les chansons amoureuses qu’avait interrompus la scène entre Érasme et Giulietta.

Quand Giulietta chantait, les divins accents qui paraissaient sortir du creux le plus profond de sa poitrine, faisaient éprouver à tout le monde comme un ravissement inconnu, mais en quelque sorte déjà vaguement pressenti. Sa voix vibrante et merveilleusement sonore était pleine d’une ardeur mystérieuse qui maîtrisait irrésistiblement tous les cœurs. Chaque cavalier tenait plus étroitement sa dame enlacée dans ses bras, et l’action magnétique des regards devenait de plus en plus énergique.

Déjà une lueur pourprée annonçait l’aurore. Alors Giulietta conseilla de finir la fête, ce qui fut approuvé. Érasme s’apprêtait à accompagner Giulietta, mais elle refusa, et lui indiqua dans quelle maison il pourrait la rencontrer à l’avenir. Tandis que les jeunes gens entonnaient chacun à la ronde un couplet d’une chanson allemande pour clore le festin, Giulietta avait disparu du bosquet. On l’aperçut à quelque distance traverser une allée couverte, précédée de deux valets qui l’éclairaient avec des torches. Érasme n’osa pas suivre ses traces. Chacun des jeunes gens offrit alors le bras à sa dame, et tous s’éloignèrent avec les bruyants transports d’une joie délirante.