Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 3, trad. Egmont, 1836.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
de Hoffmann

Et les jeunes gens disaient : « Que veut dire ceci ? Mais c’est qu’Érasme en vérité a la plus belle part de nous tous, et sans doute il se raillait de nous. »

Érasme, au premier coup d’œil qu’il jeta sur Giulietta, avait ressenti une commotion si étrange, qu’il ne pouvait distinguer lui-même la nature des sentiments tumultueux qui l’agitaient ; lorsqu’elle vint se placer à côté de lui, un tremblement s’empara de tout son être, et il se sentit la poitrine oppressée au point de ne pouvoir respirer. L’œil imperturbablement fixé sur elle, les lèvres engourdies, il restait immobile et incapable de proférer une seule parole, tandis que ses compagnons vantaient à l’envi les charmes et la grâce de Giulietta. Celle-ci prit une coupe pleine, et, se levant, elle l’offrit gracieusement à Érasme : Érasme saisit la coupe, et sa main effleura les doigts délicats de Giulietta. Il but : du feu lui sembla couler dans ses veines. Alors Giulietta lui demanda en riant : « Voulez-vous que je sois votre dame ? » À ces mots, Érasme se précipite comme un fou aux pieds de Giulietta, presse ardemment ses deux mains contre son cœur, et s’écrie : « Oui ! c’est toi, toi que j’adore, ange des cieux ! toi, toi que j’ai toujours aimée ! c’est ton image qui embellissait mes rêves. Tu es ma vie, mon espoir, mon salut, ma divinité ! »

Tous crurent que le vin avait monté à la tête au pauvre Érasme, car ils ne l’avaient jamais vu ainsi ; il semblait être devenu un autre homme. « Oui, toi ! — tu es mon âme : tu me consumes intérieurement d’une ardeur dévorante… Laisse-moi périr, m’a-