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de Hoffmann

rait à ces femmes charmantes le folâtre enjouement dont leur sexe en Italie possède exclusivement le secret. La joie devenait de plus en plus bruyante et exaltée. Frédéric, le plus bouillant de la troupe, se leva : d’un bras il avait entouré la taille de sa dame, et de l’autre, élevant en l’air son verre rempli de vin pétillant, il s’écria : « Où peut-on trouver le bonheur et les plaisirs du ciel ailleurs qu’auprès de vous, ravissantes, divines femmes italiennes ! Oui, vous êtes l’amour lui-même ! – Mais toi, Érasme ? poursuivit-il en se tournant vers Spikher, tu n’as vraiment pas l’air d’en être convaincu, car outre que tu n’as amené à cette fête aucune dame, contrairement à nos conventions et à tous les usages reçus, tu es encore aujourd’hui tellement triste et préoccupé, que si tu n’avais du moins vaillamment bu et chanté, je croirais que tu as été subitement atteint d’une noire et fastidieuse hypocondrie.

» Je t’avouerai, Frédéric, répartit Érasme, que je ne saurais partager des divertissements de ce genre. Tu sais bien que j’ai laissé derrière moi une bonne et tendre ménagère, que j’aime aussi du plus profond de mon âme, et envers qui je commettrais évidemment une trahison en choisissant une dame, à votre exemple, même pour une seule nuit. Pour vous autres garçons, c’est autre chose ; mais moi, en qualité de père de famille… » Les jeunes gens éclatèrent de rire en voyant Érasme, à ce mot de père de famille, s’efforcer d’imprimer à sa physionomie enjouée et juvénile un air de gravité sénatoriale.