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profitons pas. Or, la puissance suprême, qui règle notre vie, s’est exprimée à ton égard en termes assez clairs. N’a-t-elle pas murmuré à ton oreille : Si tu veux acquérir de la richesse, va et joue : autrement tu resteras pauvre, nécessiteux et dans une perpétuelle dépendance. »

Alors seulement le chevalier vit se représenter vivement dans son esprit l’idée du bonheur prodigieux qui l’avait favorisé à la banque du Pharaon, et dans ses rêves, et même éveillé, il voyait des cartes passer devant ses yeux, il entendait ces paroles monotones du banquier : « Gagne ! — Perd ! » — Et le son des pièces d’or tintait sans cesse à son oreille.

« Il est vrai ! se disait-il à lui-même, une seule nuit comme celle-là m’arrache à la misère, à l’embarras pénible de devenir à charge à mes amis… Oui, c’est un devoir pour moi de suivre le présage du destin. »

Son ami, qui l’avait engagé à jouer, l’accompagna dans la maison de jeu, et lui prêta vingt louis d’or pour qu’il pût tenter la fortune sans d’inquiètes restrictions.

Si le chevalier avait eu la main heureuse en pontant pour le vieux colonel, cette fois sa veine fut doublement prospère. Les cartes sur lesquelles il faisait son jeu, sa main les tirait sans choix, aveuglément, ou plutôt dirigée par une puissance suprême et invisible d’accord avec le hasard, que dis-je ? la même que nous appelons hasard dans un langage confus. Quand le jeu cessa, le chevalier avait gagné mille louis d’or.