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CONTES DES FRÈRES SÉRAPION.

— Eh bien qu’est-ce dit)e recteur Pou)mann, qui, enfoncé dans le Ci’Mt’o de o/~cfts, laisse presque tomber son livre, avons-nous des attaques de fol’c comme Anselme ?

Mais au même instant Anselme, que l’on n’avait pas vu depuis plusieurs jours, entra dans la chambre au grand étonnemcnt ft a l’effroi de Véronique, car en effet toute sa manière d’être et. < ~ ; n)- géc. Avec une certaine assurance, qui ne lui était pas natur< :)h’, il parla d’autres tendances do sa vie qui lui avaient été éclaircies par de riches horizons que l’on avait déployés devant lui, horizons, il est vrai, trop vastes pour bien des yeux.

Le recteur Paulmann en se rappclant les paroles mystérieuses du grenier Heerbrand devint encore pins embarrassé et put à peine pro- ttoncer une syllabe. Mais Anselme après avoir parlé de travaux pressants auprès de l’archiviste Lindhorst, et après avoir baisé la main de Véronique avec une grâce élégante, avait déji( descendu les marches et était parti.

Voilà déjà l’homme de cour, se dit Véronique à elle-même, et il m’a baisé la main sans glisser ou me marcher sur les pieds comme autrefois. ! 1 m’a lancé un tendre coup d’œil, il m’aime dans le fond. Véronique de nouveau s’abandonna ses rêves ; toutefois une ap- parition ennemie se dressait toujours au-devant de ces riantes images de sa vie de conseillère aulique, et elle semblait rire moqueuse et dire :

Tout cela est très-ordinaire, très-prosaïque, et n’est même pas vrai, car Anselme ne sera jamais ni conseiller aulique ni ton mari. Il ne t’aime pas malgré tes yeux bleus ta fine taille et tes jolies mains.

Alors Véronique se sentait le cœur gjacé et un profond effroi dissipait toute la joie avec laquelle elle s’était vue en bonnet de dentelles et parée d’élégantes boucles d’oreilles.

Des pleurs tombaient presque de ses yeux, et elle s’écria voix haute

Ah c’est vrai il ne m’aime pas et je ne deviendrai jamais conseillère aulique.

Ce sont des fables de roman, des fables de roman dit Je recteur Paulmann en saisissant sa canne et son chapeau et il s’en alla cour- roucé et en grande hâte.

Cela manquait encore ! reprit Véronique avec Ut. soupir ; et elle éprouva un sentiment d’envie en pensant à sa jeune sœur âgée de douze ans, qui, sans prendre part à tout ceci, avait continué sa tapis- serie à son métier. Pendant tout ceci, trois heures étaient arrivées, et il restait juste le temps nécessaire pour ranger la chambre et prépa- rer le café sur la table, car mesdemoiselles Osiers s’étaient invitées chez leur amie. Mais derrière la petite armoire que dérangeait Vé- ronique, derrière le livre de musique qu’elle était du clavier, der- rière chaque tasse ou cafetière qu’elle sortait du buffet, s’élançait toujours l’apparition comme une mandragore eu riant moqueuse et faitant claquer ses doigts en pattes d’araignée en criant Il ne sera pas ton mari il ne sera pas ton mari

Et quand alors elle laissait tout là et se retirait au milieu de la chambre elle se dressait derrière le poêle avec un nez gigantesque et disait en grommelant

Mon, il ne sera pas ton mari

N’entends-tu rien, ne vois-tu rien, sœur ? disait Véronique, qui toute tremblante n’osait plus se bouger.

Francine se levait calme et tranquille de son métier de broderie et disait :

Mais qu’as-tu donc aujourd’hui, ma sœur tu jettes chaque chose l’une sur l’autre de manière tout casser, je vais t’aider. Mais déj& les jeunes filles entraient en riant à gorge déployée, et bientôt Véronique s’aperçut qu’elle avait pris le couvercle du poêle pour une figure, et le bruit de la porte mal fermée pour des paroles ennemies ; mais elle ne put se remettre si vite que les amies ne pus- sent remarquer sa préoccupation inusitée, sa pâleur et l’air de troublc répandu sur son vtMge. Et lorsque laissant là toute idée joyeuse, elles pressèrent leur amie de leur dire ce qui lui était arrivé, Véronique dut avouer qu’elle s’était trouvée dominée par des idées étranges, et qu’elle avait tout à coup en plein jour été saisie d’une singulière crainte de revenants. Et elle raconta avec tant d’expression comment de tous les coins de la chambre un petit homme gris s’était moqué d’elle, que madame Osiers commença regarder craintive de tous cotés et à se trouver peu rassurée. Alors Franciuc entra avec le café fumant, et toutes trois se remettant aussitôt commencèrent à rire de leur sottise.

Angélique, c’était le nom de la plus âgée des demoiselles Osiers, était nancée uu officier qui se trouvait à t’armée, et qui était resté ei longtemps sans donner de ses nouvelles qu’on ne pouvait douter qu’il ne fût mort ou au moins gravement btessé. Augéfiquc avait été longtemps plongée dans le plus complet découragement, mais au- jourd’hui elle était joyeuse jusqu’à l’abandon. Véronique s’en étouua et tui en demanda la raison.

Ma chère amie dit Angélique pourrais-tu croire que je ne porte pas toujours mon Victor dans mon cœur, mes sens et ma pen- sée ? Mais c’est cela fn~mc f ; Ni me rem) sijnj’e~c, "h Die’t si he~- M-nn. f) : in : tout tf "u être. Mon v u’est hi< wriant et bientôt ic

vais le revoir avec le grade de capitaine, décore du signe de t’hon- neur conquis par sa bravoure. Une forte blessure mats sans aucun danger, suite d’un coup de sabre donné au bras droit par un hussard ennemi, l’empêche de m’écrire, et le changement subit du lieu de séjour de son régiment, qu’il ne veut pas quitter, le met encore dans )’impos de me donner de ses nouvelles ; mais ce soir il ap- prendra la manière dont sa guérison doit être bâtée. Demain il part pour revenir, et il recevra au moment de monter en voiture sa no- mination au grade de capitaine.

Mais, chère Angélique, dit Véronique, comment sais-tu tout cela p

Ne te moque pas de moi, ma bonne amie, lui répondit Angé- lique, car si tu le faisais, le petit homme gris pourrait pour te punir allonger le cou vers toi de derrière ce miroir. Mais c’est assez, je ne peux m’empêcher de croire certaines choses pleines de mystère qui assez souvent se sont présentées visiblement, je vcux dire d’une manière palpable, dans ma vie. En tout il ne me parait ni si étonnant ni si incroyable qu’a bien d’autres qu’il y ait des gens qui possèdent une seconde vue qu’ils peuvent évoquer par des moyens qu’ils sa- vent infaillibles pour eu) :.

Il y a dans cette ville une vieille femme qui possède cette faculté à un point remarquable. Elle ne prophétise pas comme les autres gens de la sorte, avec des cartes, du plomb fondu, ou du marc de café, mais d’après certaines préparations auxquelles la personne qui interroge prend part ; il apparaît dans un miroir bien clair de cristal poli un singulier mélange de diucrcntcs figures que la vieille explique, et c’est d’elle que vient la réponse à la demande. Hier soir j’allai chez elle et j’obtins sur mon Victor ces nouvelles, dont je ne mets nullement en doute la véracité.

Le récit d’Angélique jeta dans l’esprit de Véronique une étincelle qui cntlamma instantanément en elle la pensée de consulter la vieille sur Anselme et les espérances qu’elle fondait sur lui. Elle apprit que la vieille s’appelait madame Raucrin et demeurait devant la porte de Mer dans une rue très-retirée, et qu’on ne la trouvait absolument chez elle que le mardi, le mercredi et le vendredi depuis sept heures du soir jusqu’au lendemain au lever du soleil. Elle aimait surtout qu’on se rendit seule chez elle.’~7&

C’était justement un mercredi, et Véronique ré) ! o ! [ : t SSMS ! s pré- texte d’accompagner jusque chez elles les demoiselles Osters d’aller visiter la vieille ce qu’elle fit en elfet.

A peine eut-elle pris congé au pont de l’Elbe de ses voisines, qui demeuraient dans la nouvelle ville, qu’elle se dirigea rapidement du coté de la porte de Mer, et se trouva bientôt dans la rue étroite et déserte au bout de laquelle c) ! c aperçut la petite maison rouge oit la femme Rauerin devait demeurer.

Elle eut peine à se défendre d’un secret sentiment d’effroi et même d’un frissonnement intérieur lorsqu’elle se trouva devant la porte de la maison. Enhn elle domina tout sentiment répulsif et tira la son- nette. La porte s’ouvrit ; et elle chercha dans l’obscurité d’un grand corridor l’escalier qui conduisait à l’étage supérieur, d’après la description d’Angélique.

Madame liauerin ne demcure-t-elle pas ici ? s’écria-t-cljc dans le vestibule vide, car personne ne se montrait. Alors, en guise de réponse, retentit un long miaou, ct un gros chat noir faisant le gros dos et remuant la queue s’avança gravement à sa rencontre jusqu’à la porte de la chambre, qui s’ouvrit au second miaulement. Al’te voilà ma fille tu es déjà venue entre, entre ! Ainsi s’écria en entrant une personne dont l’aspect rendit Véroni- que immobile.

C’était une femme grande maigre, entourée de haillons noirs. En parlant son menton pointu et projeté en avant vacillait ; sa bouche, démcubiéc de dents et ombragée d’un nez osseux semblable au bec d’un oiseau de proie se contractait pour sourire eirroyablement, et ses yeux brillants de chat flamboyaient en jetant des étincelles à tra- vers ses lunettes ; des cheveux noirs et en brosse se dressaient sur sa tête en s’échappant du mouchoir hannfé qui l’enveloppait mais deux grandes tnehes de brûlure, qui, parti)ut de la joue gauche, s’étendaient jusqu’au delà du nez, rendaient horrible son dégoûtant aspect.

L’haleine manqua à Véronique, et le cri qui allait s’échapper de sa poitrine devint seulement un profond soupir lorsque lit main os- j seusc de la sorcière prit ht sienne pour la mener dans la ehifmhre. Là tout était en mouvement c’était un méjangc de jurements, de miaulements, de cris, de piaulements, h en perdre la tête. La vieille frappa de son sur la table cil criant

— Paix, vous, (hoics !

Les ch~ts remontèrent en gémissant sur le haut ciel du lit de petits fi’)f ; f ;  ! i se glissèrent soua)c poéie, et un corbeau se mit à voler autour du miroir. Scujemcnt le matou noir, comme si ces pa- roles onensantes ne s’a’ircss.’ue.nt pas a lui, resta tranquille sur le fauteuil rembourré sur lequel il était monté tout d’atmfd. Aus’tffot que le calme se fut étahti Véronique reprit courage. C n’était phi.’) aussi effrayant que sous le vestibule, ta femme même lui parnt ttmin.t a) !’rcu « ’. Alors seulement c))< ; promena scs rt’garf ! <).)) « )~ ch.’tmbrc. rartou’d".li4s ac~uaux e’npa ! t)t ; s étaient suspendu ! au ptafond, une