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de langoureux soupirs quand cet être malotru s’approche d’elle ou lui touche la main. Il faut qu’il y ait en lui quelque chose de prestigieux ; et si je pouvais ajouter foi aux sots contes des nourrices, je parierais que ce nain est un méchant magicien, et qu’il a le pouvoir d’ensorceler les gens. N’est-il pas inconcevable que chacun à part prenne en pitié ce petit être difforme, maltraité par la nature à tous égards, et quand le nain est au milieu d’eux, qu’on s’accorde pour le proclamer le plus spirituel, le plus intelligent, et même le plus beau et le plus gracieux jeune homme de toute l’Université. — Que dis-je ? ne suis-je pas moi-même sous la même fascination ? Ne me semble-t-il pas par moments voir dans ce Cinabre un homme aimable et raisonnable. Ce n’est qu’en présence de Candida que le charme n’a plus aucune puissance sur moi ; ce Cinabre alors reste évidemment à mes yeux un avorton stupide, une affreuse figure de mandragore. — N’importe ! je ne céderai pas à la puissance diabolique : un secret pressentiment me dit au fond de mon cœur qu’une circonstance inattendue me donnera la clef de cette énigme, et me fournira les armes propres à triompher du pernicieux farfadet ! » —

Balthasar se mit en marche pour retourner à Kerepes. En traversant un sentier bordé d’arbres, il aperçut sur la grande route une petite voiture de voyage et quelqu’un dedans qui lui faisait un signe amical avec un mouchoir blanc. Il avança et reconnut le sieur Vincenzo Sbiocca, célèbre violoniste, dont il appréciait grandement le jeu parfait et plein