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d’un cœur épris d’amour. Il frissonnait de joie en entendant les soupirs discrets, les ah ! approbatifs et doucereux des femmes, et les exclamations des hommes : charmant ! parfait ! divin ! qui témoignaient du plaisir que ses vers faisaient éprouver à tout le monde.

Il arriva à la fin. Chacun alors de se récrier : « Quelle poésie ! quelles pensées ! quelle imagination ! quels jolis vers ! quelle harmonie ! — Merci ! merci ! mille remerciments, excellent seigneur Cinabre ! quel plaisir vous nous avez procuré !

» — Quoi ! comment ?… » s’écria Balthasar. Mais personne ne prenait garde à lui, on s’empressait autour de Cinabre, qui se rengorgeait sur le sopha comme un petit dindon, et marmottait d’une voix ronflante : « De grâce ! vous voyez : ce n’est que cela, — une misère que j’ai écrite la nuit passée à la hâte. » Mais le professeur d’esthétique s’écriait : « Digne et excellent Cinabre ! ami précieux ! tu es, après moi, le premier poète qu’il y ait à présent au monde, viens sur mon sein, âme privilégiée ! » Et il saisit le petit sur le sopha, et l’éleva dans ses bras pour le caresser et l’embrasser. Cinabre reçut fort mal ces touchantes démonstrations. Il gigottait de ses longues jambes contre le ventre du professeur en piaillant : « Laisse-moi, laisse-moi tranquille : cela me fait mal, mal, mal ! veux-tu me laisser ? Je t’arrache les yeux avec mes ongles, je te mords le nez en deux ! — Allons, dit le professeur en replaçant le nain sur le sopha, allons, charmant ami, point d’excès de modestie ! »