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Cette période de la vie de Bichat fut de courte durée. Desault mourut presque subitement le 1er juin 1795, laissant sa veuve et son jeune fds dans une situation très-précaire. Bichat paya sa dette de reconnaissance envers son maître en devenant l’appui de sa famille, et en achevant la publication de ses ouvrages. Très-peu de temps après la mort de Desault, il publia le quatrième volume du Journal de Chirurgie de ce grand chirurgien : il y inséra une notice où il ren- dait hommage à son talent de praticien et à ses vertus d’homme privé. Deux ans après, en 1797, il réunissait en deux volumes in-8° les divers points de la doctrine chirurgicale de son maître, sous ce titre : Œuvres chirurgicales de De- sault, ou Tableau de sa doctrine et de sa pra- tique dans le traitement des maladies exter- nes. Enfin, en 1799, il publia de Nouvelles Con- sidérations sur les maladies des voies urinai- res, qui forment le dernier volume des œuvres de Desault. Après deux années d’études solitaires et ap- profondies, Bichat, en 1797, se créa un modeste amphithéâtre dans la rue du Four, et il y com- mença cette série de professeurs libres qui ont acquis une gloire si incontestée, à côté de l’ensei- gnement officiel de la faculté de Paris. Plein d’ardeur et de confiance en lui-même, Bichat se mit à enseigner l’anatomie , la physiologie , et la médecine opératoire. Ce dernier cours était alors une innovation, et presque un acte témé- raire; car cette partie de la médecine n’avait été jusqu’alors enseignée que par des chirurgiens vieillis dans la pratique de leur art. « J’ai voulu prouver, disait Bichat , que , quoi qu’on en ait dit, un jeune homme peut mettre dans un cours d’opérations toute l’exactitude nécessaire. » Cet enseignement ne tarda pas à attirer l’attention du public ; Bichat le continua jusqu’à l’époque de sa mort, et ne l’interrompit qu’une seule fois, à la suite d’une hémoptysie produite par l’excès du travail; il avait été jusqu’à faire, à certaines époques , trois leçons publiques dans la même journée. Pendant le temps qu’il travaillait avec Desault, il avait fondé avec plusieurs de ses amis, parmi lesquels se trouvait Corvisart, autre illustration future des sciences médicales , une société qui est célèbre dans l’histoire de la médecine, la Société médicale d’émulation. On trouve dans les recueils de cette société plusieurs mémoires de Bichat. Les premiers traitent de quelques points spéciaux de chirurgie : les fractures de l’extrémité scapulaire de la clavicule; — la des- cription d’un nouveau trépan; — la description d’un no%weau procédé pour la ligature des polypes. Mais, dans les mémoires qui suivent, se voient les premièi’es indications des grandes idées d’anatomie et de physiologie qu’il développa plus tard d’une manière si brillante : l’anatomie des tissus , et la distinction des deux vies (or- ganique et animale). Ces mémoires sont au nom- bre de trois r Mémoire ou dissertation sur les membranes, et sur leurs rapports généraux d’organisation; — Mémoire sur les membranes synoviales des articulations; — Mémoire sur les rapports qui existent entre les organes à forme symétrique et ceux à forme irrégulière. Il suffit d’en citer les titres pour signaler leur im- portance : les analyser serait chose inutile, puis- que toutes les idées nouvelles que ces mémoires contiennent ont été reproduites et développées dans les trois ouvrages que Bichat publia les an- nées suivantes, et qui contiennent l’exposé de la doctrine anatomique et physiologique : le Traité des membranes, les Recherches sur la vie et la mort, et YAnatomie générale, ouvrages qui se suivirent sans interruption, de 1798 à 1801. Quelles étaient donc ces idées nouvelles que Bichat introduisait dans la science ? Depuis l’époque de Vésale, les études de l’a- natomie humaine avaient pris une grande place dans les écoles ; mais ces études , faites surtout dans le but de fournir des données précises à la pratique des opérations chirurgicales, et de ren- dre compte des grands phénomènes de la vie, laissaient presque entièrement de côté certains organes dont le rôle, quoique très-important en réalité, n’occupe en quelque sorte que le second rang sur la scène des phénomènes physiologiques : ce sont les membranes. Les études pathologiques pouvaient seules les mettre à leur véritable place, en faisant connaître la grande influence que les lésions de ces organes peuvent exercer sur la pro- duction et le développement d’un grand nombre de maladies. Ce fut donc de la pathologie que vinrent les premières indications qui appelèrent sur l’é- tude des membranes l’attention des anatomistes. Un des plus célèbres médecins du siècle dernier, Pinel, philosophe de l’école de Condillac, venait, par la publication de la Nosographie philoso- phique (1798), de cherchera introduire dans la pathologie les méthodes que les naturalistes du siècle dernier avaient si habilement et si rationa- nellement appliquées à la classification des êtres organisés, c’est-à-dire , comme Pinel le dit lui- même, « à une exactitude sévère dans les descrip- tions de la justesse et de l’uniformité dans les dénominations, une sage réserve pour s’élever à des vues générales sans donner de la réalité à des termes abstraits, une distribution simple, régulière, et fondée invariablement sur les rap- ports de structure ou les fonctions organiques des parties. » Cherchant donc , d’après l’exemple des naturalistes, à classer les maladies suivant leurs rapports naturels, Pinel avait été conduit à reconnaître que les membranes présentent entre elles des ressemblances et des différences très- marquées : il étudia les leçons anatomiques et les phénomènes morbides qui se manifestent en elles pendant les maladies. Différents au point de vue de la pathologie , ces organes devaient donc différer dans leur état normal ; et il était nécessaire qu’une analyse anatomique et physio-