de Vauzcelles, ni surtout de cette Margot sa mie chez qui il tenait son estat, disait-il, ajoutant avec ce cynisme qui déconcerte un peu le biographe :
Vente, grèste, geile, j’ay mon pain cuit ;
Je suis paillard, la paillarde me duit.
L’ung vault l’autre ; c’est à mau chat mau rat.
Ordure amons, ordure nous affuyt.
Nous desfuyons honneur, il nous deffuyt.
En ce b… et où tenons notre estat.
Les amis qu’il fréquentait ne semblent pas avoir été d’une moralité beaucoup plus relevée que les héroïnes dont nous venons de parler. C’était une compagnie fort redoutée non-seulement « du tavernier qui brouille notre vin[1] », mais surtout des honnêtes gens. Si nous en jugeons par la légende qui est consignée dans les Repues franches, cette troupe d’écoliers ressemblait fort à une troupe de filous : ils avaient fondé leur cuisine ordinaire sur des tours d’adresse qui relevaient du lieutenant criminel ; et ils avaient les notions les plus singulières sur le droit de propriété. Quelques démêlés que Villon ait eus avec le prévôt, nous pouvons beaucoup pardonner à l’étudiant indiscipliné quand nous relisons la patriotique ballade intitulée : Qui mal voudrait au royaume de France ! Quelque mésaventure, peut-être une disgrâce amoureuse, le décida en 1456 à quitter Paris ; mais avant de se rendre à Angers, il lui fit ses adieux par une série de lays ou de legs, dont l’ensemble composa ce que dès 1489 les éditeurs ont désigné sous le titre de Petit Testament, « le Petit Testament, dit M. Campaux, se compose de quarante-cinq octaves qui se balancent chacune sur trois rimes croisées, dont vingt-cinq de legs, encadrés entre un préambule plein d’émotion et une sorte d’épilogue qui de religieux devient, bien vite burlesque, par un de ces soubresauts qui ne sont pas rares chez Villon. » Ce qui rend vraiment originale cette œuvre de jeunesse, c’est la haute bouffonnerie, c’est la verve capricieuse de ces legs qu’il adresse à chacun de ses compagnons et aussi à chacun de ses ennemis, je veux dire ces professeurs qui le rappelaient au travail et à la règle.
Villon ne resta pas longtemps à Angers : vers la fin de 1457 nous le retrouvons dans les environs de Paris, à la tête de quelques mauvais garnements et compromis avec eux dans un audacieux attentat, qui pourrait bien être un vol à main armée. Enfermé dans le Châtelet, il fut mis à la question et condamné à mort. C’est alors qu’il en appela au parlement. Villon nous a redit toutes ses angoisses dans la ballade dite de son appel. Il paraît que son affaire était compliquée ; elle passa par des phases assez peu rassurantes : plusieurs des compagnons du poète furent condamnés ; il put craindre le même sort, et essaya de sourire à la mort dans des ballades d’un réalisme vraiment tragique, où il se représente pendu en nombreuse compagnie.
La pluie nous a debuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz ;
Pies, corbeaulx nous ont les yeux cavez.
Et arrachez la barbe et les sourcilz … …
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.
Charles d’Orléans intervint auprès du parlement en faveur du poète : il en fut quitte pour le bannissement. Il quitta donc Paris. Nous le perdons de vue, et ne le revoyons plus qu’au milieu de 1461. Alors encore il est en prison à Meung-sur-Loire par le fait de Thibaut d’Aussigny, évêque d’Orléans. De quel délit était-il coupable ? On ne sait. On a conjecturé, non sans quelque raison, que c’est après cette retraite forcée, qui dura tout un été, qu’il composa le Grand Testament. « Cet ouvrage, dit M. Campaux, renferme une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poème, n’en sont en réalité que le prétexte et que la partie accessoire. Le fond du Grand Testament, ce sont les plaintes, les regrets, les remords et les confessions qui remplissent le préambule et la plus grande partie du Codicille. » Au reste ce système ne s’élève pas si haut qu’on a bien voulu le répéter : il en veut à l’évêque et aux geôliers parce qu’ils l’ont fait
Boire eau maints soirs et matins.
Que devint-il après sa sortie de prison ? Où composa-t-il son Grand Testament ? Est-ce à Paris ? Est-ce en Poitou, à Saint-Maixent, où Rabelais affirme qu’il se retira sur ses vieulx jours soubs la faveur d’ung homme de bien ? Alla-t-il en Angleterre, comme l’affirme aussi Rabelais dans son Pantagruel, où il lui attribue une facétie évidemment empruntée à la légende dont Villon devint le héros dans la bohème parisienne ? Ce sont des questions dont la solution n’ajoute rien à la renommée du poète ; seulement s’il est vrai qu’il ait écrit le Dialogue de MM. de Mallepaye et de Baillevent et le Monologue du franc archier, ce qui n’est nullement prouvé, il faudrait admettre que Villon a prolongé sa vie jusqu’à soixante ans passés ; dans le Dialogue en effet on lit une allusion à la défaite de Charles le Téméraire, qui eut lieu en 1477, sous les murs de Nancy, et le Monologue doit avoir été composé, après 1480, année où fut supprimé le corps des archers.
La plus ancienne édition des œuvres de Villon parut sous ce titre : Le Grand Testament Villon et le Petit. Son codicille. Le Jargon et ses Ballades (Paris, 1489, pet. in-4o, goth., fig.) ; Elle fut reproduite dans la même année, avec d’autres figures et des caractères latins (Paris, 1489, in-4o). De 1489 à 1542 il y eut vingt-neuf réimpressions consécutives de Villon, toutes faites à Paris, trois exceptées, qui sont de Lyon ; qu’on y joigne seize parodies ou imitations de ses deux Testaments, et l’on aura une idée du retentis-
- ↑ Ballade de Villon, publiée en entier dans la Notice de M. Campaux, p. 63-66.