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plus authentique celui qui se trouve à Padoue dans le palais épiscopal, au-dessus de la porte de la bibliothèque ; c’est une peinture à la fresque détachée de la maison de Pétrarque à Padoue en 1581. Ce portrait a été gravé en tête de l’édition des Rime de Pétrarque par Marsand. Pétrarque avait reçu de la nature une taille élégante, de beaux yeux, des traits nobles et réguliers. Dans sa jeunesse, il tirait vanité de ces avantages et cherchait à les rehausser par l’élégance de la parure : c’est une faiblesse qu’il déplora amèrement dans son âge mûr, mais sur laquelle il revient si souvent que l’on suppose qu’il ne s’en corrigea jamais entièrement.

Petrarque eut une existence des plus brillantes et des mieux remplies. La postérité s’est trop habituée à ne voir en lui que le poète amoureux. L’harmonieuse beauté « des vers épars où l’on entend le son de ces soupirs dont il nourrissait son cœur dans sa première erreur juvénile, quand il était en partie un homme autre que ce qu’il devint », ne doit pas nous faire oublier qu’il fut aussi un homme politique, mêlé aux plus importantes affaires de son temps, aimant passionnément la grandeur de l’Italie et s’efforçant, d’associer la papauté à cette grandeur ; elle ne doit pas surtout nous faire oublier qu’il fut le glorieux précurseur de la renaissance, le premier véritable restaurateur des belles-lettres en Europe. Son bon goût naturel lui apprit à chérir les beautés de Virgile et de Cicéron, et son enthousiasme pour les nobles productions classiques, se communiquant à ses contemporains, donna lieu à ce mouvement intellectuel qui eut de si merveilleux résultats dans les siècles suivants. Quelques critiques, Heeren entre autres, ont pensé que sans l’initiative et l’influence de Pétrarque, la plupart des manuscrits des auteurs latins auraient péri, abandonnés à la poussière et aux vers dans les monastères. Sans admettre absolument cette supposition, nous croyons qu’on ne saurait estimer trop haut le service que Pétrarque rendit aux lettres par lui-même ou par ses amis et disciples Boccace et Jean de Ravenne. Grand voyageur pour son temps, il visita toutes les contrées de l’Italie, la France, l’Allemagne et alla jusqu’en Espagne. Partout où il passait, il recueillait ou copiait des manuscrits, achetait des médailles, et d’autres restes de l’antiquité. A Arezzo, il découvrit les Institutions oratoires de Quintilien ; à Vérone, les Lettres familières de Cicéron ; dans une autre ville, les Lettres à Atticus ; à Liége il trouva deux discours de Cicéron. Il parle aussi du traité de Cicéron, de Gloria, du traité de Varron, de Rebus divinis et humanis et d’un recueil de lettres et d’épigrammes d’Auguste, qu’il avait vus ou possédés, mais qui ne sont pas venus jusqu’à nous. La bibliothèque Laurentiane à Florence contient les Lettres familières et les Lettres à Atticus copiées de sa main. S’il ne reculait devant aucune fatigue pour se procurer des livres, il n’en était


pas moins disposé à les prêter aux autres, et c’est ainsi qu’il en perdit plusieurs. Nous avons dit comment une libéralité de sa part fut l’origine de la bibliothèque Saint-Marc à Venise. Il s’attacha aussi à l’histoire diplomatique des plus sombres périodes du moyen âge, et rechercha les moyens de distinguer les diplômes et les chartes authentiques de beaucoup d’autres pièces apocryphes. Enfin il ne négligea pas les auteurs grecs, quoiqu’il ne connût que les éléments de cette langue, et que dans sa vieillesse il s’y fût appliqué avec plus d’ardeur que de succès (1)[1]. Dans sa correspondance étendue avec les personnes les plus distinguées de son temps, il insiste sans cesse sur les avantages de l’étude, de la recherche de la vérité ; il proclame à chaque instant l’immense supériorité des plaisirs intellectuels sur les plaisirs du corps. On lui a reproché d’avoir poussé trop loin son enthousiasme pour les anciens. Il est certain que son admiration, n’étant pas tempérée et éclairée par la critique, qui ne naquit que beaucoup plus tard, le jeta dans des erreurs qui ne furent pas uniquement littéraires. Sa ferveur classique, plus sincère que judicieuse, le conduisit à soutenir Rienzi et à attacher trop d’importance à la tentative du tribun romain. Son noble patriotisme ne fut pas exempt de dangereuses illusions. A force de ramener l’Italie vers le passé, en l’invitant à redevenir ce qu’elle ne pouvait plus être, la reine du monde, il la détournait du but plus modeste et plus sûr qu’elle pouvait atteindre. Sans nier cette erreur d’un beau génie, il suffit de constater qu’elle prenait sa source dans un sentiment généreux, et que cet enthousiasme exagéré était indispensable pour arriver à la renaissance.

Les œuvres latines de Pétrarque étaient aux yeux de ses contemporains et aux siens propres son principal titre de gloire ; cependant elles sont oubliées aujourd’hui. Ce discrédit n’est pas mérité ; il serait peu équitable de les juger par nos connaissances actuelles ; si on se reporte à l’époque où elles furent composées, on trouve qu’elles ne sont pas indignes de l’admiration qu’elles excitèrent ; elles comprennent un poème épique intitulé Africa, trois livres d’Epîtres, des Églogues, des traités de morale et une volu-

  1. (1) Barlaam, dés 1339 peut-être, mais plus probablement en 1342, l’avait initié à quelques chefs-d’œuvre de la littérature grecque, entre autres aux Dialogues de Platon. En 1363, Léonce Pilate lui donna encore des leçons et lui céda plusieurs livres écrits dans cette langue, parmi lesquels se trouvait un Sophocle. Plus tard une traduction latine de l’Iliade et d’une partie de l’Odyssée faite par le même Leonce Pilate fut communiquée à Pétrarque. Voilà à peu prés tout ce qu’il connut de l’antiquité grecque, dont l’influence sur ses écrits est peu sensible. Platon lui-même, bien qu’on ait appelé amour platonique le sentiment célébré dans le canzoniere, peut à peine être compté parmi ses maîtres. En général ce restaurateur des études classiques a peu emprunté, du moins pour sa poésie italienne, aux auteurs profanes ; il s’est plus souvent inspiré des Saintes Écritures et des Pères de l’Église.