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(du quinzième siècle), qui sont à la Bibliothèque impériale, mais il reste à décider si une variante qui n’est peut-être qu’une erreur de copiste doit l’emporter sur le sens clairement indiqué par le contexte. Nous ne prolongerons pas la discussion de ces minuties. Nous ne voyons dans la thèse de l’abbé de Sade qu’un point réellement fort, c’est la coïncidence entre la date connue de la mort de Laure (6 avril) et le testament de Laurette de Sade (3 avril) ; mais cette coïncidence s’expliquerait par les ravages de la peste qui fit à Avignon d’innombrables victimes, et put bien emporter en quelques jours ou le même jour deux dames du nom de Laure. Les autres arguments sont faibles ; l’auteur lui-même n’est pas bien assuré d’avoir raison. « Ce ne sont là, dit-il, après tout que de très-fortes conjectures qui, réunies ensemble, entraînent l’esprit, mais n’excluent pas tout doute. » Le doute subsiste en effet, et la lecture des œuvres de Pétrarque tend à le confirmer, ou du moins elle ne favorise pas l’hypothèse de l’écrivain du dix-huitième siècle. Pour nous, s’il fallait prendre un parti, nous admettrions plus volontiers la conclusion de Vellutello.

Laure, touchée du sentiment qu’elle inspirait, sut retenir le poète dans son amour sans lui permettre d’espérance coupable. Pétrarque passa dans la ville d’Avignon les trois années suivantes, occupé de sa passion, ne négligeant pas ses chères études classiques et cultivant l’amitié de Jacques Colonna, membre d’une des plus grandes familles romaines, que le jeune poète avait eu pour camarade d’études à Bologne et qu’il retrouvait à la cour pontificale. Jacques Colonna, devenu évêque de Lombès, emmena en 1330 Pétrarque dans son diocèse, au pied des Pyrénées. Là ils employèrent tout un été en discussions littéraires et en courses sur les montagnes avec deux autres amis, Louis, né sur les bords du Rhin, et Lello, gentilhomme romain, que le poète a célébrés sous le nom de Socrate et de Lœlius. De retour à Avignon, Jacques Colonna présenta Pétrarque à son frère le cardinal Jean Colonna, qui le logea dans son palais. Peu après arriva dans la même ville le père de Jean et de Jacques, Étienne Colonna, vieux et brave gentilhomme bien connu par ses démêlés avec Boniface VIII. Le rude guerrier aimait les lettres ; il accueillit avec faveur le jeune homme, qui au talent de la poésie joignait une telle ardeur pour l’étude des auteurs anciens. L’amitié des Colonna ne dédommageait pas Pétrarque des rigueurs de Laure. Sa passion avait pris une ardeur que l’on n’aurait pas attendue de sa nature studieuse et délicate, et que sa poésie ne révèle pas tout entière. Pour s’en distraire il entreprit un assez long voyage, visita Paris, la Flandre, Cologne, traversa la forêt des Ardennes, s’arrêta quelques jours à Lyon, et revint à Avignon, où il ne trouva plus l’évêque de Lombes, alors parti pour Rome, mais où il retrouva Laure, aussi sévère que jamais. Son chagrin amoureux le décida à se retirer dans la belle vallée de Vaucluse, à quelques lieues d’Avignon. Il y passait la plus grande partie de son temps, à la fois malheureux et charmé de sa passion, la chantant dans des vers immortels, et trouvant aussi des accents plus fiers pour appeler les princes chrétiens à une croisade[1] ou pour demander le rétablissement du saint-siége à Rome. Ni l’amour ni la poésie ne lui faisaient oublier l’étude, et l’étude ne l’absorbait pas au point de l’empêcher de songer à son avenir, assez précaire malgré l’amité des Colonna. Le pape Benoît XII lui donna en 1335 un canonicat de Lombès et l’expectative d’une prébende. Vers le même temps Azzo da Correggio, seigneur de Parme, étant venu à Avignon pour défendre devant le pape Benoît XII son titre à cette souveraineté, contre les réclamations de Marsiglio Rossi, se lia avec Pétrarque et le choisit pour son avocat à la cour pontificale. Le poète accepta la cause et la gagna. Ce fut pour lui une occasion de connaître Guillaume Pastrengo, savant homme que Azzo avait amené d’Italie. Il se lia aussi, mais un peu plus tard, avec le Calabrais Barlaam, envoyé auprès du pape par l’empereur Andronic le jeune en 1339, et apprit de ce moine les premiers éléments du grec. Un voyage à Rome, où l’appelaient l’amitié des Colonna et le désir de visiter les monuments de cette ville célèbre, ne l’éloigna d’Avignon que pour quelques mois, et vers la fin de 1337 il était de retour dans sa chère Vaucluse, tout entier à l’étude, à ses travaux littéraires et à son amour. Le temps passait sur sa passion et l’épurait sans l’affaiblir. Laure ne la partageait pas, mais elle était fière de l’inspirer, et l’entretenait avec un art délicat que l’on appellerait de la coquetterie s’il n’avait été parfaitement honnête. On suit dans les poésies de Pétrarque l’apaisement progressif de ce sentiment, si impétueux dans les dix premières années, et qui se changea peu à peu en une calme adoration.

Dans sa retraite de Vaucluse, visitée seulement de quelques intimes, parmi lesquels on compte l’évêque de Cavaillon, Philippe de Cabassole, Pétrarque entreprit en latin une Histoire romaine et un poème sur Scipion l’Africain et la seconde guerre punique. Ce dernier ouvrage, dont il ébaucha rapidement plusieurs chants, fit concevoir aux amis des lettres les plus grandes espérances, et contribua plus que ses traités latins, et beaucoup plus que ses poésies vulgaires, à répandre son nom. Les amis de Pétrarque profitèrent de cette vogue pour satisfaire le désir qu’il avait exprimé d’obtenir la couronne de laurier qui, suivant une tradition populaire, avait été décernée à Horace et à Virgile. Les Colonna à Rome,

  1. Au sujet d’une croisade que méditait le pape Jean XXII, Il adressa à l’évêque de Lombès l’admirable canzone : O aspettata la ciel beata e belle, Anima…