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pas bonne. Il en est de même de la puissance et de la richesse, et de toutes les facultés physiques et morales de l’homme (1)[1]. »

Le volume IX donna les Éléments métaphysiques du droit (Metaphysische Anfangsgründe der Rechtslehre), publiés pour la première fois en 1797 ; ceux de la morale (Tugendlehre), parus dans la même année, et la Pédagogique (Pædagogik), publiée en 1803 par Rink. Dans le chapitre sur le droit international (Völkerrecht), l’auteur dit que les nations, au lieu de continuer à se disputer les armes à la main, devraient former un congrès permanent (Permanente Staatscongress), où elles débattraient, par leurs délégués, tous les intérêts généraux ; ce serait-là, ajoute-t-il, le seul moyen d’obtenir une paix permanente et sincère ; car tout ce qu’on s nommé jusque ici traités de paix ne sont que des trêves ou des armistices (2)[2]. L’opuscule sur la pédagogique (p. 369-448) renferme des aperçus du plus haut intérêt. Kant divise l’éducation en trois périodes : celle du nourrisson, celle de l’élève et celle de l’apprenti. L’homme ne relève que de son éducation, tandis que l’animal doit tout à son instinct. De tous les êtres vivants, l’homme seul annonce sa naissance par des cris ; et ce ne sont pas là des cris de douleur (car les autres animaux ne crient pas au moment de la parturition), mais pour ainsi dire des cris de mécontentement d’un maître en herbe qui voudrait déjà commander et se faire obéir. L’homme est si amoureux de la liberté, que, si une fois il y est habitué, il sacrifie tout pour la conserver. Aussi faut-il de bonne heure le soumettre à la discipline : on envoie tout jeunes les enfants à l’école, surtout pour leur faire apprendre à se tenir tranquilles et à obéir. Rien ne ressemble plus à un enfant indiscipliné qu’un sauvage : l’un et l’autre n’en font qu’à leur tête. Cet entêtement n’est point, comme l’a prétendu Rousseau, un noble instinct de liberté, c’est l’état où l’élément brutal l’emporte encore sur l’élément rationnel. Aussi tous les sauvages ne vivent pas dans les forêts de l’Amérique : il y en a beaucoup en Europe. — C’est une grande faute dans l’éducation des princes de ne leur résister en rien, parce qu’ils doivent un jour commander. L’homme ne peut être élevé que par des hommes, formant ainsi, de génération en génération, une chaîne non interrompue d’idées, qui se transmet avec le trésor de la civilisation : c’est là qu’il faut chercher le secret de l’avenir de l’humanité. Aussi l’éducation est-elle, avec l’art de se gouverner, l’un des plus grands problèmes à résoudre. L’éducation, comme le gouvernement de la société, est tout entière l’œuvre de l’homme ; ce qu’il faut y avoir en vue, c’est moins l’état présent que l’état futur de l’amélioration du genre humain. « Mais, ajoute Kant, il y a à

cela deux grands obstacles : l’un consiste en ce que les parents ne songent qu’à faire faire aux enfants, comme on dit vulgairement, leur chemin dans le monde (gut in der Welt fortkommen) ; l’autre tient à ce que les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour l’exécution de leurs vues toutes personnelles. Aux parents la maison, aux princes l’État. Mais ni les uns ni les autres n’ont en vue l’intérêt général ou le perfectionnement de l’humanité. Le plan d’une bonne éducation doit être cosmopolitique. Et que l’on ne s’imagine pas que le soin de l’intérêt général nuise à celui de l’intérêt privé (1)[3].

Le volume X traite de la religion dans les limites de la raison (Die Religion innerhalb der Graenzen der blossen Vernunft), dont la première édition parut en 1793, et la seconde, en 1794 (Francfort et Leipzig), avec des additions. Cet ouvrage est suivi de la Dispute des facultés de théologie, de médecine, et de philosophie, etc., entre elles (Streit der Facultaten), qui est la réimpression d’une série d’articles publiés dans la Berliner Monatsschrift. La Religion dans les limites de la raison est, en quelque sorte, le développement de la Critique de la Raison pure. « L’homme porte la loi de la morale en lui-même ; pour la pratiquer librement, il ne lui faut ni l’idée d’un être supérieur, ni aucun motif étranger. Le royaume de Dieu ne revêt pas une forme sensible : Vous n’entendez pas dire : Tenez, le voilà. Le Christ lui-même l’a dit, non pas seulement à ses disciples, mais aux pharisiens : Le royaume de Dieu est en vous (2)[4]. » Kant définit la conscience « la connaissance du devoir en soi-même ». Kant s’élève avec force contre ceux qui font consister la religion dans la simple croyance aux dogmes et dans les pratiques du culte. Les hommes, dit-il, ne se contentent pas de faire la cour aux rois ; ils se font encore les courtisans de Dieu : ils s’imaginent lui plaire en marmottant des prières ; ils lui demandent ses grâces comme à un souverain ses faveurs, sans se donner la peine de les mériter par leurs actions. Ce n’est point là une conduite digne d’un citoyen du royaume de Dieu. »

Le XIe volume contient la correspondance de Kant, qui fait, en partie, double emploi avec les lettres à Mlle de Kuobloch sur Swedenberg, à Mme de Fung sur la mort de son fils, et à Lambert, déjà imprimées dans les volumes I et VII. On y remarque surtout une lettre de Schiller (13 juin 1794) et la réponse de Kant (30 mars 1795) : le grand poëte d’Allemagne se déclare, en termes chaleureux, partisan de la philosophie du sage de Kœnigsberg, et lui demande des conseils pour la publication d’une

  1. (1) Metaphysik der Sitten, p. 3, 7, 11 et suiv.
  2. (2) Vol. IX, pag. 294.
  3. (1) Pag. 377.
  4. (2) Saint Luc, XVII, 21-22. Ή βασιλεία τοὗ Θεοὖ έντόζ ύμὧν έστίν.