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comme un bien-fonds ; c’est une société d’hommes, dont nul autre qu’elle-même n’a le droit de disposer. On sait quelle source de calamités pour les peuples ont été les acquisitions d’États par voie de mariage, nouveau genre d’industrie, particulièrement pratiqué en Europe, mais à peu près inconnu dans les autres parties du monde. » 3° « Les armées permanentes devront avec le temps disparaître : elles sont une menace perpétuelle pour les États voisins et nuisent, par les frais de leur entretien, au développement de l’industrie et des arts. 4° Aucun État ne devra s’immiscer d’autorité dans les affaires d’un autre État. Kant divise le droit en trois catégories, embrassant l’État, les nations et le monde : le droit politique, le droit des gens et le droit cosmopolitique. Quant au droit politique, l’auteur se déclare pour la forme républicaine, par laquelle il entend non pas le gouvernement de plusieurs ou de tous, mais la séparation du pouvoir législatif d’avec le pouvoir exécutif. Le droit des gens devra reposer sur une confédération d’États libres. Kant entre ici dans des considérations d’un ordre élevé. « Les sauvages, dit-il, préfèrent la liberté de se battre et de s’entretuer à la liberté de s’entendre et de se constituer. Leur barbarie nous afflige, et pourtant, nous, peuples civilés, que faisons-nous ? La majesté d’un chef d’État consiste à réunir sous son commandement des milliers d’hommes qui se font tuer pour une cause qui souvent ne les regarde pas. La différence entre les sauvages de l’Europe et ceux de l’Amérique n’est que dans l’usage qu’ils font de leurs vaincus : les premiers les mangent ou les tuent, tandis que les derniers en savent tirer un meilleur parti. On a lieu de s’étonner que cette perversité de la nature humaine, qui perce dans les rapports des nations entre elles, n’ait pas encore banni du langage le mot de droit ; il est surprenant de ne pas voir un État qui l’ait franchement supprimé. Pour justifier une attaque ou un casus belli, on continue de citer H. Grotius, Puffendorf, Vattel, etc., tristes justificateurs : leur code diplomatique n’a ni ne peut avoir la moindre force légale, puisque les États ne sont pas soumis à une autorité commune et que chacun se tient prêt à faire toujours valoir ses arguments les armes à la main (1)[1]. » L’auteur conclut que, pour remédier à cet état de choses, toutes les nations de l’Europe devraient finir par s’entendre ; car c’est l’Europe qui parait destinée à faire la loi aux autres parties du monde. Enfin, le droit cosmopolitique devra se fonder sur les conditions d’une hospitalité universelle. Kant définit ici l’hospitalité « le droit de vivre pacifiquement sur le territoire d’autrui ; droit que chacun tient de la possession commune de la surface du globe, corps céleste limité dans l’espace infini. Où iraient-ils


chercher une demeure, si les hommes ne voulaient pas se tolérer réciproquement sur la terre ? Dans le principe, personne n’a donc plus de droit qu’un autre dans un lieu quelconque sur la planète qui est assignée pour domicile à notre espèce humaine. » L’auteur revient ensuite au grand problème dont il se plaît à varier l’énoncé, et qui consiste « à organiser une population d’êtres raisonnables, fussent-ils des démons, de manière à ce que, réunis en société, chacun subordonne son intérêt privé à l’intérêt public (1)[2] ». Dans l’antinomie de la morale et de la politique, après avoir rappelé les fameuses maximes des habiles (fac et excusa ; si fecisti nega ; divide et impera), qu’il traite de déplorables sophismes, il ajoute : « Personne n’est plus dupe de ces maximes politiques ; elles sont tellement usées qu’on ne s’étonne plus que de leur succès. Toute cette sophistication de la morale prouve que les hommes ne valent pas mieux dans leurs relations politiques et sociales que dans leurs rapports privés. » Enfin, pour les amener à résipiscence, il établit, comme formule mentale du droit public, la proposition suivante : « Tout acte public (touchant aux droits d’autrui) dont la maxime répugne à la publicité est un acte injuste (2)[3]. » — La deuxième partie du volume est remplie (pag. 1-276) par des fragments d’anthropologie (Anthropologie in fragmenterischer Hinsicht), Kœnigsberg, 1798, qui, hérissés de définitions scolastiques, ont peu servi aux progrès de la science.

Le volume VIII contient deux ouvrages qui se complètent l’un par l’autre : la Métaphysique des Mœurs (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten) et la Critique de la raison pratique (Kritik der praktischen Vernunft), dont nous avons déjà parlé. Le premier ouvrage parut d’abord à Riga, 1785, in-8o (4e édit., 1797), et le second en 1788, ibid., in-8o (5e édit., Leipzig, 1818). L’auteur trouve que la philosophie grecque (aristotélique) a été parfaitement divisée en physique, éthique et logique. La physique et l’éthique sont les applications matérielles des formes de la pensée ou de la logique, l’une aux lois de la nature et l’autre aux lois de la liberté. La métaphysique des mœurs, ou l’éthique, doit avoir pour objet les principes de la volonté pure possible, mais non les actes et conditions de la volonté en général, qui la plupart dérivent de la psychologie. La bonne volonté de chacun, voilà, selon Kant, le vrai pivot du perfectionnement de la société. « L’intelligence, l’esprit, le talent, le génie, le courage, la persévérance, toutes ces qualités de la nature on du tempérament, sont sans doute, à beaucoup d’égards, précieuses et désirables ; mais elles peuvent devenir nuisibles et facilement tourner au préjudice de tous, si la volonté qui les dirige s’est

  1. (1) Vol. VII, pag. 247-249.
  2. (1) vol. VII, pag. 264.
  3. (2) Ibid., pag. 283.