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sur l’application de ces conditions à l’expérience. »

Pour bien saisir ce système, en général si mal compris, il faut se rappeler que Kant était mathématicien ; la certitude des mathématiques faisait son admiration, et il se demandait s’il n’y aurait pas moyen de donner également à la métaphysique, qui jusque-là « n’avait tâtonné que dans les ténèbres, la marche assurée d’une science ». C’est préoccupé de cette idée que Kant entreprit l’examen de la faculté de connaître, c’est-à-dire la critique de la raison pure.

De quelle nature sont les propositions mathématiques ? sont-elles analytiques ou synthétiques ? Cette question fut le point de départ du philosophe. Les propositions analytiques reposent, dit-il, sur le principe de l’identité ou de la contradiction : elles n’ajoutent rien de nouveau au rapport du sujet à l’attribut (l’un et l’autre pris dans le sens grammatical) ; elles ne font qu’éclaircir ou expliquer ce qui s’y trouvait déjà. Ainsi, quand on dit : « Tous les corps sont étendus », on ne présente que deux points de vue ou deux formes de la même connaissance ; car il est impossible de concevoir un corps (sujet) sans étendue (attribut), et réciproquement. Les propositions synthétiques, au contraire, ajoutent quelque chose de nouveau au rapport du sujet à l’attribut. En disant : « les corps sont pesants », on introduit dans le sujet un attribut qui n’y était point logiquement contenu : on aura beau décomposer la notion de corps, on n’en fera point sortir celle de pesanteur ; la notion de pesanteur n’est ici donnée que par l’expérience : c’est donc là une proposition synthétique a posteriori. On se tromperait si, d’après ces définitions, on continuait à croire que les propositions mathématiques sont analytiques : Kant affirme qu’elles sont toutes synthétiques, contrairement à l’opinion de Hume, qu’il s’attachait particulièrement à combattre. Elles sont, de plus, synthétiques a priori, parce qu’elles impliquent un caractère de nécessité et d’universalité étranger à l’expérience. Or, qu’est-ce qui leur donne ce caractère ? Quelque chose qui est en nous, la forme de notre intuition, de notre sensibilité le moule en un mot par lequel passe toute la matière fournie par les sens, pour être ensuite élaborée par l’entendement suivant des lois certaines. Quel est ce moule ? L’espace et le temps : toute représentation, toute connaissance réelle porte l’empreinte de l’espace ou du temps, qui ne sont pas des objets réels, existant en dehors de nous, mais, pour le répéter, la forme de notre réceptivité (faculté de recevoir des impressions). C’est à quoi les mathématiques doivent leur certitude : la géométrie est toute tirée de l'intuition de l’espace, comme la science du mouvement ou la mécanique l’est de l’intuition du temps. « La ligne droite est le plus court chemin entre deux points donnés », voilà une proposition synthétique ; car à la notion de ligne droite il faut ajouter celle du plus court chemin, qui ne s’y trouvait nullement comprise.


L’arithmétique elle même rentre dans le cadre de notre réceptivité. Ainsi, par exemple, 7 + 5 = 12 n’est pas, comme on pourrait le penser, une proposition analytique, fondée sur le principe de l’identité ; car on a beau retourner en tous sens les nombres 7 et 5, on n’y aperçoit pas encore leur somme. Pour trouver le nombre 12, il faut sortir de la notion donnée et recourir à l’intuition en représentant les unités de 7 et de 5 par les doigts ou par des points qu’on additionne ensuite les uns aux autres. C’est donc là une proposition synthétique, comme l’est du reste toute proposition d’arithmétique ; cela se reconnaît surtout quand on emploie des nombres élevés. Quelques propositions de géométrie sont cependant analytiques, telles que a=a, le tout est égal à lui-même ou (a + b) > a, le tout est plus grand que sa partie. Mais elles ne servent alors que de liens de méthode, et n’empruntent du reste leur valeur qu’à l’intuition.

Les matériaux fournis par l’intuition, les représentations revêtues des formes de l’espace ou du temps sont coordonnées ensuite par l’entendement pour être converties en véritables connaissances humaines. Ces deux fonctions, la réceptivité (sensibilité) et l’entendement, se complètent et s’enchaînent comme celles de la nutrition. Les lois d’après lesquelles les matériaux premiers se coordonnent ou s’élaborent portent le nom aristotélique de catégories. Kant les a distribuées en quatre classes, désignées sous les noms de quantité, qualité, relation, modalité : la 1re comprend les propositions ou jugements généraux, particuliers (besondere), individuels (einzelne) ; la 2e les jugements affirmatifs, négatifs et indéfinis ; la 3e les jugements catégoriques, hypothétiques et disjonclifs ; la 4e les jugements problématiques, probables (assertorische) et apodictiques.Telles sont les conditions ou lois d’après lesquelles fonctionne l’entendement. L’étude qui a pour objet ce code intellectuel (que Kant ne donne pas comme définitif), c’est-à-dire la possibilité de l’expérience ou des connaissances réelles d’après des idées a priori, s’appelle la logique transcendentale, de même que l’étude concernant les formes de la sensibilité ou de l’intuition s’appelait l’esthétique (αίσθησιζ, sensation) transcendenlale. L’espace et le temps ainsi que les catégories de l’entendement n’ayant qu’une valeur subjective, sans réalité en dehors de l’esprit humain, la conclusion est facile à prévoir ; c’est que l’homme ne connaît pas les choses en soi (c’est à-dire telles qu’elles seraient pour les habitants de tous les corps célestes habitables et pour Dieu lui-même), mais telles qu’elles lui apparaissent d’après les principes de son organisation d’être sentant et pensant ; en un mot, toutes les connaissances ne sont que phénoménales ; leur valeur n’est point absolue, mais seulement relative : elle dépend des facultés départies aux habitants de la Terre. Le monde extérieur se règle donc sur le monde intérieur ;